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10 juin 2022     |    6 min de lecture

ETHICAL ECONOMY

Eric Duverger

Fondateur de la Convention des Entreprises pour le Climat

Le fondateur de la Convention des Entreprises pour le Climat explique le fonctionnement de son association d’intérêt général. Son objectif ? Faire en sorte que ses actions soient largement reprises et démultipliées, afin d’infléchir le cours des choses.

Comment est née la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) ?

La Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) est née d’un constat : l’urgence nous impose de prendre le temps pour imaginer, concevoir et mettre en œuvre des solutions capables de résoudre la dissonance entre effondrement écologique et priorités économiques.

Quel est son objectif ?

En relais de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), la CEC vise à émettre des propositions audacieuses et impactantes, destinées à être mises en œuvre dans les entreprises. Notre mission est d’aider le monde de l’entreprise à agir face à l’urgence, en ligne avec les objectifs donnés aux citoyens en 2019, puis par l’Europe en 2020 : tenir une trajectoire nationale de -55 % d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans le respect de la biodiversité et dans un esprit de justice sociale.

En quoi se différentie-t-elle d’autres initiatives actuelles, en France et ailleurs dans le monde ?

Si la CEC résonne autant auprès des entreprises, c’est parce que nous nous situons entre deux polarités bien distinctes.

D’un côté, celle stigmatisante, illustrée par des mouvements comme Extinction Rebellion, qui accusent les entreprises d’être la cause de tout.

De l’autre, une polarité trop bienveillante, de la part de certains mouvements d’entreprises où la prise de décision reste timide alors que la « molle » communication est extrêmement positive, ce qui peut laisser penser que certaines entreprises membres s’achètent une bonne conscience écologique.

Nous nous situons au milieu. Nous croyons en l’entreprise mais il est aujourd’hui nécessaire que davantage d’actions concrètes soient initiées et que le curseur soit levé à un niveau correspondant à la réalité de l’urgence.

Quel est son mode de fonctionnement ?

La Convention a lieu sur 12 jours, répartis sur neuf mois, de septembre 2021 à début juillet 2022. Elle mobilise 150 entreprises, représentées par un binôme, composé du dirigeant de l'entreprise et d’une personne qu’on appelle le « planet champion », en général issu de la direction RSE. Cela représente donc 300 participants.

Des sessions plénières font intervenir des scientifiques, des philosophes, des prospectivistes, des biologistes, etc. et alternent avec des sessions de travail en sous-groupes.

Nous avons commencé par travailler avec ces décideurs sur la compréhension de leur propre transition intérieure : qu'est-ce que cela signifie pour eux de faire leur transition et quelles sont les conséquences sur leur business model.

Cette étape clé, car il faut d’abord ouvrir son champ émotionnel pour se mettre à la hauteur des enjeux. Notre « how » consiste donc à réconcilier le cœur et l'intellect des décideurs économiques afin qu'ils réinventent un modèle d'affaires à l'intérieur des limites planétaires.

Nous avons ensuite travaillé sur comment passer d’un business model « extractif », à un business model « régénératif ». Une entreprise doit en effet pouvoir – outre le fait d’être neutre en carbone – redonner plus de ressources qu’elle n'en consomme. Cela implique bien évidemment circularité et sobriété.

Qu’allez-vous faire de ces travaux ?

Il y a trois livrables que nous nous sommes engagés à remettre, lors de la dernière session, soit à l'Élysée, soit au Ministère de la transition écologique. Ils sont composés des 150 feuilles de route que les participants vont produire, qui sont la vision de la transformation de leur activité et qui seront publiées par la suite, pour inspirer les autres entreprises.

Le deuxième livrable, c'est une plateforme de propositions politiques qui est en cours de construction. Elle comportera des sous-thèmes systémiques et d’autres, plus thématiques ou sectoriels. Enfin, le troisième, c'est nous, la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC), qui allons le composer. C'est une sorte de mode d'emploi réplicable sur la base de ce que nous avons vécu. Ce sera la quintessence de la « secret sauce » de la CEC, ce qui fait que le dispositif a fonctionné et que répliqué à grande échelle, il pourra effectivement transformer l’économie.

Quels ont été vos critères de sélection des dirigeants pour la Convention ?

Notre principale préoccupation a été la diversité du panel. À peu près tous les secteurs d’activité sont représentés.

Nous avons également voulu avoir toutes les tailles d'entreprises. Au total, 75 milliards d’euros de chiffre d'affaires sont « embarqués » dans la CEC, ce qui représente une certaine valeur du tissu économique français. Mais en même temps, nous avons aussi sélectionné de toutes petites entreprises, notamment des entreprises unipersonnelles, parce que nous pensions que la personne représentait bien son secteur ou qu’elle possédait un potentiel d'entrainement. Qui plus est, toute la France est représentée. Les entreprises viennent à 45 % d’Île-de-France et à 55 % des régions.

Nous avons également sélectionné des participants ayant un pouvoir d'influence. Par exemple, des membres du Medef, mais aussi d'organisations syndicales et de clubs de dirigeants, font partie de l’aventure. Bref, des dirigeants assez engagés dont nous nous sommes dit qu'ils avaient une force de conviction importante.

Êtes-vous sollicités pour démultiplier le parcours de la CEC ?

Oui, nous sommes sollicités de toutes parts. Nous avons déjà deux démultiplications en cours. Ce sont des prototypes pour nous. La première a lieu dans un grand consortium français du Nord de la France qui représente plus d'une centaine d'entreprises. La deuxième démultiplication a lieu du côté de Grenoble avec douze entreprises.

Cinq régions de France nous ont par ailleurs contactés. Nous sommes en train de voir comment réaliser des CEC régionales. Nous avons aussi un projet de CEC avec la Commission européenne. Il y a donc un fort appétit pour déployer un parcours de type CEC dans différentes strates de l'économie. Nous sommes en train de voir comment nous organiser, car nous sommes une association de bénévoles et nous ne savons pas pour le moment comment répondre à ces sollicitations.

Comment financez-vous vos actions ?

Je ne voulais pas qu'il y ait de ticket d'entrée dans la CEC. Nous avons donc recruté les entreprises sans aucune notion financière. Une fois que les choses ont été lancées, nous avons proposé aux participants, en conscience, de faire un don à l'association, qui est d'intérêt général. Étant donné que nous sommes tous bénévoles, il y a juste les frais externes à prendre en charge. Si nous comparons avec la Convention citoyenne pour le climat, qui a coûté 5,4 millions d'euros aux contribuables, nous tablons de notre côté sur un coût de 850 000 euros.

En revanche, par la suite, nous devrons adopter un modèle hybride qui composera entre l'engagement des personnes et des prestations rémunérées, si nous voulons pouvoir démultiplier nos actions à plus large échelle. Nous sommes en train de réfléchir à un modèle socio-économique permettant de garder la notion d'intérêt général, mais aussi de générer un début de rétribution pour ceux qui portent les différentes conventions.

Le dernier rapport du GIEC est alarmant. Est-ce que cela vous incite à réajuster la feuille de route de la Convention ?

Nous n’ajustons pas notre feuille de route, car nous sommes déjà tous en état d'urgence maximale au sein de la CEC. Nous nous sommes donné trois ans pour que la bascule vers l'économie régénérative se fasse, conformément à ce que préconise le GIEC.

Nous voulons que, culturellement, cela ne soit plus acceptable qu'une entreprise ne se porte pas sur une trajectoire vers l'économie régénérative. Nous sommes habités de ce sentiment d'urgence. Nous pensons que c'est possible, car la prise de conscience monte en puissance.

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