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12 décembre 2022     |    5 min de lecture

ETHICAL ECONOMY

Commentant les conséquences de l’effondrement de FTX, Alexandre Stachtchenko, directeur Blockchain et Cryptos de KPMG France passe en revue les avantages des systèmes décentralisés, source de résilience et fondement des modèles « anti-fragiles ».

En quoi les cryptomonnaies, et plus globalement la DeFi (finance décentralisée), sont-elles des sources d’inspiration pour construire des modèles anti-fragiles ?

La DeFi se construit sur un modèle transparent, contrairement à ce qui vient de se passer au sein de FTX où l’opacité était de mise.

Le liquidateur judiciaire, John J. Ray III, a même déclaré n’avoir jamais vu « un échec aussi complet » dans la gestion d’une entreprise... FTX ne possédait aucune équipe comptable et, à l’extérieur, personne ne le savait en raison de l’opacité qui caractérisait cette plateforme. Dans la finance décentralisée, les opérations, les liquidations, les prêts et les emprunts sont transparents, l’information est accessible au public qui peut réagir en cas de besoin. C’est donc un modèle résilient par définition.

En ce qui concerne les milliers de cryptomonnaies qui existent aujourd’hui dans le monde, il faut procéder à un tri. En effet, la quasi-totalité d’entre elles ne servent pas à grand-chose, ce sont de mauvais projets ou des arnaques. Elles ne constituent donc pas de modèle anti-fragile.

En revanche, si nous focalisons notre attention sur le bitcoin, nous sommes – à plusieurs égards – face à un modèle anti-fragile. Il s’agit en effet d’un modèle monétaire décentralisé, dépourvu d’entité pouvant contrôler, manipuler, censurer ou saisir les avoirs détenus en bitcoin. Et côté sécurité, la façon même dont le bitcoin est construit fait que, plus il est attaqué, plus il montre sa résilience et sa force, ce qui correspond à la définition même d’un modèle anti-fragile.

Qu’en est-il de l’aspect « durabilité » du bitcoin ?

Par ses limites finies, le modèle bitcoin présente des analogies avec celui de l’or. En privilégiant le long terme et l’épargne, et non la consommation à court terme, il crée chez les agents économiques des incitations qui vont à contre-courant de ce que le modèle traditionnel propose. Il est en phase avec la finitude des ressources planétaires. Il constitue sur ce plan davantage un modèle « anti-système » qu’un modèle anti-fragile.

Quelles analogies est-il possible de réaliser avec les « réseaux qui n'appartiennent à personne », comme Mastodon ?

Je ferai plutôt une analogie avec Internet qui est un réseau décentralisé n’appartenant à personne. Mais, après 25 ans d’existence pour le grand public, l’Internet d’aujourd’hui est devenu hyper-centralisé. Nous nous retrouvons avec les mêmes questions que pour les cryptomonnaies qui, dans la réalité des faits, se retrouvent elles aussi très centralisées. FTX avait en effet énormément de clients et Coinbase en compte 100 millions.

La décentralisation n’est pas une fin en soi, mais elle permet d’atteindre l’incensurabilité. Quand un système est décentralisé, il n’est pas possible de saisir les avoirs d’une personne. La centralisation est généralement plus efficiente, mais elle est moins résiliente.

Comment devons-nous faire face aux crises via des solutions et modèles alternatifs  ?

Les modèles alternatifs offrent une porte de sortie, une sécurité par rapport à un modèle « dominant ». Lorsque nous nous rendons compte que nous en avons besoin, il faut s’assurer que ce n’est pas trop tard... Il faut s’intéresser aux modèles alternatifs quand les événements ne sont pas encore cataclysmiques.

Quand une personne vivant au Liban s’aperçoit que son compte en banque est fermé, il est trop tard pour réagir. De même pour les Ukrainiens dans leur pays en guerre, ou les Vénézuéliens dans un pays où l’inflation a pu atteindre 1 000 000 % (1). Pour faire face aux crises, il faut privilégier la diversification, la décentralisation et la résilience. Autant de caractéristiques qu’offre le bitcoin.

Quels sont les enseignements à tirer de l’effondrement de la plateforme crypto FTX ?

Les enseignements sont nombreux. Le premier est que les cryptomonnaies ne sont pas mortes, car elles ne sont tout simplement pas en cause dans cette affaire. La plateforme aurait pu vendre n’importe quoi d’autre, le fait de détourner l’argent de ses clients pour s’acheter des immeubles aux Bahamas reste dans tous les cas illégal.

Le deuxième concerne les fonds d’investissement et l’argent gratuit. Il n’est pas normal d’investir des millions de dollars dans une entreprise qui ne possède pas d’équipe comptable. Les responsabilités devront être mises au jour. De même du côté des banques et intermédiaires financiers.

Par ailleurs, la couverture – indigne – du sujet par les médias traditionnels pose question, notamment aux États-Unis. Avant le crash de FTX, les médias ont fait preuve d’un aveuglement sans limite. Sam Bankman-Fried, le dirigeant de FTX, opérait une plateforme de cryptomonnaies depuis les Bahamas, et cela ne l’empêchait pas d’être vu comme la plus grande âme charitable de la Terre. Mais quand, deux semaines après la plus grande fraude de l’histoire, de grands titres de presse américains regrettent son absence pour le secteur caritatif, c’est tout simplement catastrophique.

Enfin, l’écosystème des cryptomonnaies va devoir, lui aussi, se remettre en cause et assumer sa part de responsabilité. Cet écosystème voit les cryptos comme un casino géant et, à coup d’influenceurs, fait la promotion de telle ou telle cryptomonnaie sans procéder à la moindre due diligence sérieuse.

Est-ce que l’effondrement de FTX est un accélérateur de régulation ?

Oui et non. Nous pourrions avoir mis en place tous les cadres de régulation possibles et imaginables en Europe, cela n’aurait rien changé car FTX était situé au Bahamas. Le seul combat qui pourrait produire des effets serait celui de l’harmonisation entre pays. Mais ce n’est pas un combat juridique, il s’agit d’une démarche politique. Il faut pour cela utiliser des leviers d’influence pour faire changer d’avis d’autres États. Or, en Europe, nous avons très peu d’acteurs de poids. La première plateforme d’échange européenne, Bitstamp, génère un volume 30 à 40 fois inférieur à celui de Binance.

Le crash de FTX va servir de prétexte pour une surenchère réglementaire. Cela aura pour conséquence de rendre de plus en plus complexe l’émergence d’acteurs européens, sans empêcher une entreprise comme FTX d’opérer depuis les Bahamas ou une plateforme telle que Binance de ne pas avoir de siège social. La surenchère réglementaire ne servira à rien, c’est une solution de facilité.

Source : Trading Economics

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