EXPERIENCE ECONOMY

Demande accrue de télétravail, nouvelles exigences sanitaires… La crise du covid-19 bouleverse les entreprises, leurs locaux et l’organisation du travail. Autant de défis à court et moyen terme, auxquels secteur immobilier et entreprises réfléchissent activement.

Pour l’immobilier aussi, il y aura un « monde d’après Covid ». Alors que 8 personnes sur 10 se prononcent en faveur d’une extension du télétravail, la généralisation de cette pratique pendant le confinement « constitue un changement fort de paradigme », affirme Flore Jachimowicz, membre du Comex, en charge de la RSE et de l’innovation chez Icade. Comment repenser la conception et l’aménagement des locaux ? Comment décongestionner bureaux et centres-villes, et adapter les logements au télétravail ? Comme d’autres crises, celle du Covid vient accélérer l’histoire, voire amplifier des tendances de fond. Dans l’immédiat, les entreprises sont concentrées sur la gestion sanitaire des espaces de travail (distanciation, distribution de masques et gel, etc.). Pour les sites de production, la distanciation est encore plus complexe à mettre en place. Les technologies "site sans contact’’, permettant d’assurer la distanciation physique et l’hygiène, pourraient se déployer largement, à l’image de l’entreprise Bee’ah aux Emirats Arabes Unis, où les ascenseurs sont appelés à l’aide d’un smartphone, les portes s’ouvrent grâce à la reconnaissance faciale, etc.[1]

Géométrie variable

Est-ce l’annonce d’évolutions plus profondes des modes de travail ? «Le Covid-19, analyse Flore Jachimowicz, a accéléré les réflexions sur la réorganisation des bureaux, des nouveaux espaces de travail partagés et des logements». Premier constat : le flex-office est probablement une des réponses les plus faciles et immédiates face au Covid-19. Une vision partagée par Christine Sonnier, directrice immobilier France chez L’Oréal : « Les règles du flex-office, qui imposent notamment de partir en laissant son bureau totalement vide, facilitent la désinfection et sont également appliquées pour les personnes qui travaillent encore, elles, en poste attribué ». De son côté, Vincent Dubois, qui dirige Archimage, une agence spécialisée dans l’organisation d’espaces de travail, imagine déjà « des aménagements à géométrie variable, avec par exemple une version hors crise à dix bureaux et une, pour temps de crise, à trois bureaux » [1]. Quant à l’openspace, déjà mal aimé, il est clairement menacé par le nouveau contexte sanitaire, notamment parce qu’il consiste en réalité souvent en une série d’espaces fermés par des cloisons, donc moins aérés.

Vers un essor des coworkings mutualisés ?

Le coworking pourrait aussi prendre de l’ampleur. Aujourd’hui concentrés en centre-ville, ces espaces pourraient gagner la périphérie, et se partager entre différentes entreprises, afin de satisfaire ceux qui ne veulent pas prendre les transports en commun pour se rendre sur le site principal, mais ne sont pas équipés pour ou ne veulent pas télétravailler chez eux. Chez Morning Coworking, partenaire de Nexity[2], on voit ainsi « une belle carte à jouer pour les acteurs de ce secteur. En temps de crise, partager des bureaux peut permettre à des entreprises du tertiaire de diminuer les charges fixes». Les choses bougent, constate Icade : « Nous proposons depuis longtemps des ‘’smart desk’’ - des espaces de travail hors du siège, en Île-de-France, pour nos collaborateurs et ceux de nos clients. Nous avons constaté une hausse de leur fréquentation qui fait réfléchir : une entreprise pourrait, demain, répartir ses collaborateurs entre un siège et des ‘’satellites’’ autour », de tailles diverses. 

Nouveaux services à développer

Le futur de l’immobilier d’entreprise pourrait aussi passer par une offre de services élargie. Pour Flore Jachimowicz, « de même que le télétravail fait surgir la vie professionnelle dans son espace privé, on peut imaginer faire émerger la sphère privée dans l’espace professionnel. Un exemple : une entreprise pourrait installer des chambres permettant de dormir sur place, pour des collaborateurs qui auraient fait le choix de vivre en province et de venir sur site quelques jours par semaine ou par mois… ». Les acteurs du coliving voient eux-aussi dans les besoins des grands groupes un levier de croissance pour les mois qui viennent. Autre brique d’offres à repenser : l’intégration de services liés aux nouvelles mobilités. Demain plus qu’hier, chaque immeuble de bureau devra être augmenté d’un parking à vélos suffisamment dimensionné, de prises pour les véhicules électriques, etc., contribuant ainsi aux avancées environnementales auxquelles le secteur reste attentif.

Distribuer les fonctionnalités entre logement et bureaux

Il devient impossible de penser séparément travail, logement, et mobilité, poursuit Flore Jachimowicz.

Si le télétravail prend davantage d’ampleur, nous devrons imaginer des logements plus modulaires, dotés d’un espace bureau « isolable » des autres pièces, d’une connexion internet performante et, pourquoi pas, d’un mobilier transformable (bureau / table à manger). Nous commençons aussi à noter une demande accrue d’espaces verts extérieurs (balcon, terrasse) qui coûtent plus cher à construire mais qui ont montré leur importance pendant le confinement. Cet enjeu concerne aussi les élus, responsables des règles d’urbanisme.


Flore Jachimowicz,
Membre du Comex, en charge de la RSE et de l’innovation chez Icade

Articuler culture, sécurité et performance

Ces (r)évolutions en cours ou à venir concerneront plutôt les cadres, dans les grands groupes, et dans certaines régions - 41% des actifs ont télétravaillé en Île-de-France, contre 11% en Normandie[3]. En outre, toutes les entreprises n’ont pas le télétravail dans leur ADN. C’est le cas de l’Oréal, explique Christine Sonnier, car « nous portons notre effort sur la qualité de nos locaux pour travailler et nos métiers de créativité impliquent de se retrouver physiquement sur un même lieu. » La Défense, avec ses hautes tours, ses ascenseurs et ses fenêtres closes, aurait-elle du souci à se faire dans le « nouveau monde » immobilier ? Une chose est sûre : l’organisation du travail et l’immeuble professionnel de demain devront prendre en compte la protection sanitaire sans négliger la culture de l’entreprise, comme ses enjeux de créativité et d’agilité… qui requièrent du collectif et du présentiel.


Sources et références

[1] Rapport « Les futurs du travail », 2020, Groupe Vinci.

[2] Les Echos, 25 mai 2020. « Coworking : fragilisé, le secteur espère rebondir avec le télétravail »

[3] Sondage Odoxa, avril 2020.

À retenir
Le futur de l’immobilier d’entreprise pourrait aussi passer par une offre de services élargie. Repenser notamment l’intégration de services liés aux nouvelles mobilités comme des parkings à vélos suffisamment dimensionné, des prises pour les véhicules électriques, etc., contribuant ainsi aux avancées environnementales auxquelles le secteur reste attentif.

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