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1er avril 2022     |    4 min de lecture

TECH ECONOMY

Alexia Auffeves

Directrice de recherche au CNRS à l’Institut Néel de Grenoble

Directrice de recherche au CNRS à l’Institut Néel de Grenoble, Alexia Auffeves revient sur l’empreinte environnementale des ordinateurs quantiques et détaille les solutions qu’elle envisage.

Comment vous êtes-vous spécialisée en thermodynamique des ordinateurs quantiques ?

Je viens de l’optique quantique très fondamentale, discipline avec laquelle j’ai conjugué la thermodynamique quantique il y a quelques années, qui est elle aussi très fondamentale.

Par la suite, j’ai véritablement fusionné les deux sujets, ce qui se traduit aujourd’hui par des questions très simples : combien cela coûte-t-il énergétiquement de réaliser un calcul quantique ? Est-ce qu’il sera nécessaire de faire appel à une centrale nucléaire pour venir à bout des calculs que nous promettent les applications mirifiques après lesquelles tout le monde court ? Ou bien l’avantage quantique computationnel qu’on nous vend se traduira-t-il aussi par un avantage computationnel énergétique ? 

Quand vous dites « avantage quantique computationnel », qu’est-ce que cela signifie exactement ?

Cela signifie que les calculs quantiques pourraient être réalisés en moins d’étapes physiques qu’avec l’informatique classique. Comme une opération physique coûte de l’énergie, s’il y a moins d’étapes, la consommation énergétique pourrait être moins élevée. 

Mais aujourd’hui, quand vous posez la question à des scientifiques dans une conférence de technologie quantique, la moitié des participants sont convaincus que cet avantage quantique existe. L’autre moitié pense en revanche que, pour réaliser un calcul quantique tolérant aux erreurs, il est nécessaire de mettre en jeu tous les mécanismes d’encodage et de correction de qubits logiques, qui font appel à beaucoup de ressources de qubits physiques et de traitement de l’information : toutes ces ressources supplémentaires ne sont pour l’heure pas comptabilisées dans l’avantage computationnel.

Quels sont les ordres de grandeur en termes de consommation énergétique ?

C’est l’objet même de nos sujets de recherche. Nous avons fait des projections, à partir des technologies actuelles de bits quantiques supraconducteurs, avec des niveaux de fidélité actuels, et avec des codes correcteurs d’erreurs qui ne sont pas optimisés en termes de ressources. Cela donne des marges d’erreurs assez grandes, mais le gigawatt, et parfois bien plus encore, si on veut le trouver, n’est pas très loin… 

C’est dans des ordres de grandeur qui ne sont pas raisonnables mais qui touchent ce qu’on appelle le « large-scale quantum computer », c’est-à-dire un ordinateur quantique impliquant des millions de qubits logiques, chaque qubit logique impliquant lui-même des milliers de qubits physiques. 

Quel est votre message par rapport à cette problématique ?

Mon cheval de bataille est de dire qu’il faut structurer une initiative quantique énergétique, donc une vraie ligne de recherche, interdisciplinaire, qui relie la recherche fondamentale à l’ingénierie. Actuellement, dans toutes les stratégies visant à déployer des technologies quantiques, il n’existe aucun monitoring énergétique. Au mieux, cela apparaît comme un petit argument de vente pour dire qu’un calcul quantique peut se faire avec la même consommation énergétique que celle d’une bouilloire. 

Il y a donc un vrai framework à poser pour répondre à la question de savoir s’il existe un avantage énergétique ou pas, pour faire des propositions et des optimisations sérieuses et poser des benchmarks énergétiques solides. Car si vous regardez les supercalculateurs classiques, ils possèdent tous leur benchmark énergétique. Ce qui est important, c’est de pouvoir relier un coût énergétique à une performance de calcul.

Les choses sont-elles en train de bouger dans votre sens ?

Mon discours convainc mais cela met beaucoup de temps à se traduire par des actions concrètes, sonnantes et trébuchantes. Si vous prenez un chercheur, au niveau individuel, il exprime beaucoup d’intérêt pour cette thématique car chacun voit qu’on est en train de déployer une nouvelle technologie de traitement de l’information, que des green deals se signent partout et que nous sommes tous sensibilisés aux questions climatiques… Le terreau existe donc pour que cette initiative prenne. En revanche, la mise en œuvre pose question…

Que faut-il faire concrètement ?

Ce que nous voyons dans les simulations que nous avons déjà réalisées, c’est que plusieurs éléments vont jouer en faveur de notre capacité à diminuer le coût énergétique du calcul quantique, alors même que nous sommes en train de construire ce type d’ordinateur. La dimension énergétique est importante sur la route de la mise à l’échelle, parmi d’autres dimensions (qualité des qubits, capacité à intriquer…). 

Si on prend en compte cette dimension, on constate qu’il est possible de réaliser des optimisations d’architectures de calcul ou de code correcteur, ou encore des arbitrages entre technologies de qubits… C’est un cercle vertueux qui se met alors en place. Il ne faut pas attendre de véritables blocages de nature énergétique, comme c’est actuellement le cas pour les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle.

Dans les travaux de recherche actuels, le facteur énergétique doit donc être pris en compte dès maintenant car il peut influencer directement les choix technologiques, que ce soit sur le matériel ou le logiciel, et permettre d’éviter de rentrer dans des impasses. On ne peut plus se permettre aujourd’hui de ne pas raisonner « énergétique », les nouvelles technologies ont un devoir d’exemplarité. Cela implique un changement profond des mentalités.

À retenir
Le calcul quantique a un coût énergétique. En bénéficiant d’un avantage quantique computationnel, les calculs quantiques pourrait être réalisés en moins d’opération physique ce qui par conséquent baisserait la consommation énergétique

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