Salima Benhamou, économiste au département Travail, emploi, compétences de France Stratégie

Découvrez l’interview de Salima Benhamou, économiste au département Travail, emploi, compétences de France Stratégie, et auteur de rapports sur l’évolutiondes entreprises en lien avec le travail ou le déploiement de l’IA.


Vous avez co-réalisé une étude récente sur les organisations apprenantes. À quoi correspond un tel modèle d’organisation aujourd’hui ?

SalimaBenhamou : C’est une organisation qui cherche à développer en continu les capacités d’apprentissage de tous ses membres, pour anticiper les transformations futures et atteindre des objectifs stratégiques. Ce qui suppose des méthodes de travail et des pratiques managériales spécifiques, visant à soutenir en permanence une forte culture d’apprentissage, en donnant une plus grande maîtrise aux salariés dans leur travail au quotidien. Travailler en équipe, notamment multidisciplinaire, expérimenter, résoudre des problèmes complexes, avoir de l’autonomie sont autant de pratiques “capacitantes” qui favorisent, à l’échelle individuelle et collective, une dynamique d’apprentissage et le développement des compétences sur le lieu de travail. Comme nous l’avons montré dans cette étude, ce type d’organisation du travail, très développé dans les pays d’Europe du Nord et scandinaves, est à la traîne en France. Notre étude montre que le taux de participation des salariés français dans le secteur privé est de 40 %, alors qu’il peut concerner jusqu’à plus de 65 % des salariés dans ces autres pays européens. Ce retard est inquiétant, alors même que nous montrons toutes choses égales par ailleurs que l’organisation apprenante offre une meilleure qualité du travail  et de l’emploi (en matière de conditions de travail, de développement des compétences, de management, de sens et de reconnaissance au travail, etc.) et favorise une plus large diffusion des innovations dans l’économie. Ce “retard français” s’explique par de nombreux facteurs, institutionnels, économiques et culturels, qui favorisent des structures hiérarchiques très centralisées où réside une forte séparation entre la conception de la stratégie de développement des entreprises et son opérationnalisation sur le terrain, mais aussi entre les métiers. Cette séparation contribue très souvent à des prises de décisions inadaptées quand l’environnement évolue.

En quoi de telles organisations vous paraissent-elles adaptées face à l’environnement complexe et changeant auquel sont confrontées les entreprises ?

S. B. : En 2030, le secteur privé comme le secteur public feront face à un environnement marqué par des crises successives, sans parler du ralentissement de la productivité, qui, combiné à l’avènement de l’intelligence artificielle, va intensifier la concurrence sur les marchés mondiaux. Les entreprises devront mettre en place des organisations du travail capables d’anticiper les changements, même les plus brutaux, pour rester performantes et à la pointe de l’innovation. L’organisation apprenante est donc particulièrement adaptée pour composer avec cette complexité accrue, car elle permet une plus grande flexibilité décisionnelle et opérationnelle. Apprendre à apprendre en continu et s’appuyer sur l’engagement des salariés seront, selon moi, les meilleurs atouts des entreprises pour rester performantes et innovantes. Comme le disait déjà en 1990 le professeur au MIT et spécialiste en management Peter Senge, « le rythme auquel les organisations apprennent pourrait devenir la seule source durable d’avantages concurrentiels dans un monde en perpétuel changement ». C’est donc une profonde transformation organisationnelle et culturelle qu’il convient d’opérer, et ce à tous les niveaux de l’entreprise.

Vous avez également beaucoup travaillé sur l’essor de l’IA et son impact sur le travail. Ces technologies sont-elles une chance ou un frein pour le développement des organisations apprenantes ?

S. B. : Certaines tâches sont automatisables et d’autres pas. Toutes les tâches qui sont fondées sur des compétences associées à la résolution de problèmes complexes, sur le jugement critique, sur la créativité et sur les interactions humaines seront préservées demain. Or, ce type de compétences se développe et se valorise surtout dans des organisations de type “apprenante”. Ainsi, les entreprises qui chercheront à tirer parti de l’IA et des savoir-faire spécifiques de leurs salariés favoriseront cette complémentarité et seront plus à même de transformer leur organisation. Mais, à l’inverse, l’IA peut aussi freiner les capacités d’apprentissage des salariés si elle est utilisée sans chercher à développer l’autonomie des salariés ou sans mobiliser leur esprit critique face aux recommandations de la machine.


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