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Critères ESG et business models, vers la réconciliation ?

« La crise sanitaire a accéléré l’éveil des consciences sur le sujet du développement durable, tant au niveau environnemental que social, et placé la RSE au cœur de la stratégie des entreprises. » Formulé par Bertrand Grau, associé, Global Strategy Group de KPMG France, dans son article Stratégies durables, une transformation indispensable, ce constat s’applique universellement. Pour garder la confiance de leurs parties prenantes, accéder aux capitaux dans les meilleures conditions et aligner leurs activités aux nouvelles normes et règlements, les dirigeants n'ont d'autre choix que de répondre aux exigences sociétales. Autrement dit, il leur faut prendre en compte les enjeux planétaires de long terme dans l'élaboration et la mise en œuvre de leur stratégie, sur la base des critères ESG (environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance). 

L'enquête CEO Outlook KPMG d'octobre 2021 montre que les dirigeants sont conscients des attentes qui pèsent sur eux. L’environnement figure désormais au deuxième rang de leurs enjeux prioritaires, et ils sont 30 % à prévoir d’investir plus de 10 % des revenus de leur entreprise dans la transformation de leurs organisations vers un modèle plus durable. Pour les ¾ d'entre eux, les investissements digitaux et ESG sont liés, les premiers devant servir les seconds. S'ils se savent tenus pour responsables des impacts de leurs activités, les dirigeants cherchent, pour la plupart, le chemin permettant de concilier résultats à court terme ET transformation durable. Financier et technologique pour une part, le défi est avant tout humain.


Le relever implique la mobilisation authentique des organes décisionnels, la coconstruction et l’embarquement de toutes les parties prenantes, internes et externes. Bertrand Grau propose de classer les entreprises en fonction de leur capacité à actionner simultanément ces trois leviers. Lorsque les efforts de développement durable se concentrent sur l’évitement de préjudices ou de dommages, en réaction à une situation nouvelle, plutôt que sur l’anticipation à mettre en œuvre une stratégie RSE, on parle de Sustainability 1.0. C'est à ce niveau de maturité que se situent la majorité des entreprises.

D’autres prennent des initiatives isolées, pas à l’échelle, sans souci d’alignement avec leurs objectifs stratégiques (Sustainability 2.0). Au troisième niveau, la transformation durable réinvente tout le modèle de l’entreprise (Sustainability 3.0). Elle s’appuie sur une stratégie cohérente, de long terme et qui impacte l’ensemble des activités sur l’intégralité de leur chaîne de valeur.

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La crise sanitaire a accéléré l'éveil des consciences sur le sujet du développement durable, tant au niveau environnemental que social, et placé la RSE au cœur de la stratégie des entreprises.



Bertrand Grau

Associé, Global Strategy Group de KPMG France



SUSTAINABILITY 3.0
Création de valeur sociétale sur le long terme


En savoir plus

Description


  • Entreprises avec mission identifiée, axée sur la valeur sociétale et favorisant la frugalité
  • Stratégie générale de l'entreprise en cohérence avec cette mission et tournée autour de la durabilité
  • Considération des défis sociétaux comme des plateformes de croissance, offrant à la fois une valeur commerciale et sociétale significative
  • La création de valeur sociétale est perçue comme un instrument de création d'un modèle d'entreprise durable sur le long terme
  • Nouvelle approche pour la stratégie commerciale
  • Lien établi entre le court et le long terme
  • Création de valeur et la distribution pour toutes les parties prenantes concernées, y compris création de valeur sociétale
  • Exemples


  • PDG engagé en matière de développement durable qui a placé la stratégie RSE, considérée comme l'un des moteurs de croissance de l'entreprise, au sommet de son agenda
  • Label B-Corp (un processus de certification rigoureux pour les entreprises qui démontrent des normes élevées de performance sociale et environnementale) obtenu pour 17 entités du Groupe. Avec ambition de devenir l'une des premières multinationales de l'alimentation à obtenir une certification au niveau mondial.
  • Engagement social et environnemental au cœur de la stratégie de l'entreprise (mise en avant de la singularité du groupe et positionnement en tant qu'acteur de confiance)
  • Revue de tous les investissements avec évaluation à poids égal de la contribution économique, la satisfaction des clients et des collaborateurs et la contribution au bien commun



  • Mettre l’impact au cœur du jeu suppose de construire des modèles de création de valeur avec les parties prenantes internes et externes

    Supply chain, décarbonation, relocalisation… comment les entreprises matures passent à l'action. Quels sont, pour les entreprises engagées vers un modèle à impact, les champs de transformation investis en priorité ?

    ➡ La supply chain figure en bonne place, souvent la première. Deux facteurs incitent les acteurs industriels à revoir leurs fondamentaux. D’une part, la sensibilité croissante à l’impact carbone et, d’autre part, les signaux d’alerte mis en évidence par la crise du Covid-19, qui poussent à la recherche de proximité afin de sécuriser les chaînes d’approvisionnement. Les possibilités offertes par les développements digitaux permettent d’agir sur les deux fronts. C’est en recourant à des algorithmes que Danone, par exemple, a pu revoir ses circuits de collecte en réduisant les distances parcourues, et donc les volumes de gaz à effet de serre émis.

    Les services digitaux, big data et outils d’analyse des données en tête, sont également sollicités pour leur contribution à l’anticipation de la demande. Lorsqu’un industriel active ses fournisseurs, sous-traitants et distributeurs en vue de produire un bien, il fait toujours un pari sur les quantités qui seront écoulées. Limiter l'incertitude sur ce point doit permettre de diminuer le gaspillage et la surproduction à l’échelle de toute la filière.

    ➡ Dans la méthode d’approche comme dans les conditions clés de succès, l’action sur la décarbonation des business models se rapproche de celle menée sur la supply chain. Dans les deux cas, il importe d’effectuer un bilan précis et exhaustif sur un périmètre judicieusement délimité, d’établir des objectifs ambitieux mais réalisables puis de définir des plans d’action pour les atteindre. Un schéma déployé, notamment, par Faurecia en vue d’optimiser son impact carbone sur toute sa chaîne de production, en Europe et dans le monde.

    Le volet IT s’impose, une fois encore, comme un facteur de progrès. Migrer vers le cloud pour mutualiser les infrastructures et optimiser l’utilisation des ressources, rationaliser le parc applicatif pour éviter les recouvrements fonctionnels, mettre en œuvre des architectures écoresponsables afin de maximiser la performance énergétique des applications dès leur conception, optimiser le cycle de vie des équipements informatiques : autant de leviers que les organisations les plus matures ont pris l’habitude d’inscrire à leur programme de décarbonation.

    ➡ Certains acteurs prennent le parti de challenger leurs propres pratiques en matière d’achat afin d’embarquer leurs fournisseurs stratégiques dans leur transformation business. Par-delà les déclarations d’intention sur les achats responsables, la réalité des engagements s’évalue sur la base de trois critères. Tout d’abord, la transformation de la vision que peut avoir une entreprise en une véritable stratégie adossée à des objectifs chiffrés, monitorés et assortis de deadlines. Ensuite, la mise en place d’objectifs de développement durable pour mesurer la performance et calculer les bonus des directeurs ayant une influence sur la sélection et la gestion des fournisseurs. Enfin, la définition et le pilotage d'indicateurs RSE partagés avec les fournisseurs au moment de la contractualisation et la mise en place, au-delà des évaluations et des audits, d’une véritable collaboration pour atteindre les objectifs RSE de l’entreprise.

    ➡ La relocalisation est un autre signe des logiques de mutation opérationnelle qui prévalent aujourd’hui. Première grande marque de mode à devenir entreprise à mission, Aigle a choisi de réimplanter en France la part de sa production qui avait été déplacée en Chine. Leur dernière opération Green Friday, dédiée à la seconde main, a été un véritable succès.

    ➡ Une autre évolution notable est celle des Centres de Services Partagés ou plus largement des Global Business Services. Là où leur création ne visait qu’à centraliser des fonctions de l’entreprise pour des motifs financiers, aux dépens des enjeux sociaux, une tout autre vision tend aujourd’hui à s’imposer. Qui aurait cru, il y a quelques années, que les Centres de Services Partagés des entreprises les plus matures sur ce sujet pourraient un jour faire figure d'accélérateur de transition responsable ? Ces plateformes, du fait de leur organisation, par définition transverse, et de leur interaction avec toutes les fonctions du business et des parties prenantes – clients, fournisseurs, régulateurs – contribuent déjà à délivrer des services à impact tels que les achats responsables ou le recrutement inclusif, et pilotent une masse considérable d'informations financières mais aussi et de plus en plus extra-financières. Avec tout un collectif formé et organisé pour utiliser, piloter et remonter l'information du local au global, l’exploitation du gisement pour sécuriser l'opérationnalisation des enjeux ESG ne fait que commencer !

    Incarner l'esprit de transformation tout en entretenant la confiance

    La prise de risque de décisions qui viennent bousculer l’ancien modèle soulève inévitablement des résistances. Individuellement, chaque membre du Comex doit incarner avec authenticité les nouveaux engagements et mobiliser son sponsorship. Collectivement, les instances de direction doivent instaurer un mode de gouvernance et un schéma décisionnel plus ouvert et adopter une posture de lâcher prise. Piloter les injonctions contradictoires du temps court et du temps long en priorisant les investissements pour obtenir un ROI global devient alors déterminant.



    Jean-David Aurange

    Associé, Responsable Carewan, KPMG France

    Quelles sont les clés pour accéder au statut Sustainability 3.0 et inscrire la création de valeur sociétale au cœur de l’organisation ? Il faut tout d'abord une gouvernance et un leadership engagés reposant sur la confiance. La transformation vers un modèle à impact ne souffre d’aucune ambiguïté. Les équipes dirigeantes doivent faire preuve d’une résilience inédite et instaurer un lien inaltérable de confiance et de solidarité au sein de leurs organes de direction. Il leur appartient de prendre leurs responsabilités sur des engagements individuels et collectifs clairs et authentiques. 

    Au-delà du Comex, ces principes de leadership et le management doivent se diffuser à tous les niveaux des organisations. Car, à l’heure de l’hybridation du travail et de l’émergence des nouvelles pratiques managériales, la confiance est essentielle pour maintenir le lien social au sein de l’entreprise et préserver l’équilibre entre bien-être personnel et performance collective

    Engager et faire vivre les engagements ESG au cœur de l’entreprise et son écosystème

    Ouvrir un chemin de transition ne peut se faire sans une étroite alliance avec ceux qui auront à l'emprunter et à l’incarner : l’ensemble des collaborateurs et des parties prenantes. Reste à savoir comment mettre le collectif et l’écosystème de l’entreprise en mouvement…  

    Pour Hélène François, directrice de l’entité Carewan de KPMG, trois leviers sont essentiels afin de (ré)engager les équipes dans une quête collective fédératrice, porteuse de sens au service d’un modèle d’entreprise à impact positif. D'une part, mobiliser et concerter à grande échelle est indispensable pour faire avancer les consciences, accélérer la convergence, la légitimation des plans d’action et l’engagement de tous. Ensuite, pour stimuler l’élan collectif, impulser le mouvement, il faut convaincre le cœur, autant que la raison, agir sur l'émotion et créer la confiance. Enfin, il est essentiel de favoriser l’articulation d’un discours de preuves nourri par des faits tangibles pour faire vivre concrètement au quotidien les engagements dans la culture d’entreprise, les valeurs, les métiers, le modèle managérial et le mode de gouvernance.

    Nous sommes aujourd’hui à un point de bascule. Beaucoup d’entreprises souhaitent intégrer leur raison d’être, leur utilité sociale et le partage de valeur au cœur de leur modèle d’affaires. Il s’agit alors, une fois la raison d’être formulée, de l’intégrer dans les statuts de l’entreprise, mais aussi de redéfinir des engagements RSE en cohérence avec sa mission ainsi que d’impliquer davantage le conseil d’administration et les parties prenantes sur une nouvelle vision de la création de la valeur partagée.


    C’est un mouvement de fond que nous observons au sein des entreprises que nous accompagnons avec nos équipes Carewan, cabinet certifié B Corp spécialisé dans l’accompagnement des transformations par et pour l’humain, et membre de KPMG. Pour les plus engagées d’entre elles, la dynamique de transformation positive et la mobilisation de leurs collaborateurs se manifestent par des engagements forts et des trajectoires coconstruites vers des modèles type entreprises à mission ou encore des démarches de certification B Corp reconnues internationalement.


    Pour engager les collaborateurs vers des changements radicaux et profonds, et les convaincre de renoncer à un certain nombre de repères pratiques qui n’ont plus lieu d’être, il faut activer quelque chose de plus profond. La fierté, le sentiment d'appartenance, le désir de participer à une cause vertueuse peuvent jouer ce rôle de moteur.



    Hélène François

    Directrice Carewan, KPMG France

    Force est de constater que l’engagement vers un nouveau modèle est un processus de transformation intense, exigeant, propre à chaque organisation. Aussi, son succès se mesurera à son pouvoir tellurique, à sa capacité à se propager dans toute l’entreprise et à entraîner l’adhésion de tous. Au-delà des intentions, l’enjeu est donc le passage à l’action et l’incarnation. Et nombreux sont les freins ! Déficit de prise de conscience, manque de concertation avec les équipes, sponsorship insuffisant, réticences à renoncer à des pratiques business qui ne sont plus en ligne avec les engagements affichés, difficulté pour le management à réconcilier des visions court et long terme dans leur quotidien professionnel… autant d’obstacles susceptibles de contrarier les intentions les plus déterminées.

    Passer de l'intention à l'action, c'est tout l'enjeu pour les organisations décidées à rendre le monde meilleur.

    Comment faire bouger les lignes ? C’est là que la puissance des parcours d’accompagnement de coaching de direction et d’équipe entrent en jeu. L’intérêt : déployer auprès des collaborateurs des parcours d’engagement, d’acculturation, de formation aux enjeux environnementaux, et sociétaux et leur traduction pour l’entreprise. Un cas concret : des managers du top 50 d’un groupe du CAC40 ne parvenaient pas à s’approprier les nouveaux engagements et à les faire vivre dans leurs objectifs opérationnels et leur style de management et de collaboration. La solution retenue pour les engager ? Coacher les intéressés, l’équipe projet, dans le cadre d’ateliers de réflexion, de parole et de mise en situation. Avec, au programme, un double travail sur les éléments de preuve et de fierté, les blocages rationnels et émotionnels et sur la prise de conscience de l’impact du nouveau modèle d’entreprise sur le quotidien.

    Au-delà de cette dynamique d’engagement interne, il est essentiel d’intégrer l’ensemble des parties prenantes (clients, fournisseurs, territoires, monde associatif, ESS…), à l’instar de certaines démarches de concertations territoriales menées à grande échelle pour des projets innovants et responsables suivant une logique de partenariat public/privé.

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