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COLLABORATIVE ECONOMY

Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire en termes d’organisation de la démocratie participative ? Quels sont les bénéfices des civic tech et à quels points de vigilance les élus doivent-ils prêter attention ? 

Erwan Keryer et François Moulère, tous deux associés au sein de KPMG France, répondent à ces questions.

La crise sanitaire rebat les cartes des politiques publiques, notamment en matière de gouvernance et de représentativité. Quelles tendances observez-vous ?

Erwan Keryer : La crise sanitaire a tout d’abord influencé la manière dont les collectivités ont organisé le débat avec les citoyens. Nous l’avons notamment vu avec les comités de quartier numériques qui, contrairement à leur version en présentiel, pouvaient être davantage structurés. En effet, quand vous êtes sur une plateforme de visioconférence, les débats sont plus courts et plus cadrés. Les collectivités ont ainsi appris à utiliser un certain nombre d’outils numériques pour réorganiser le débat public et le rendre plus efficace.

Par ailleurs, dans le cadre des budgets participatifs que de très multiples municipalités organisent depuis longtemps déjà, nombre de citoyens – qui n’y avaient jamais participé auparavant – ont pu proposer leurs projets d’aménagement, et voter. À Grenoble, par exemple, le vote des citoyens a pu se faire à distance, ce qui a permis de toucher d’autres publics que ceux habitués à ce type de démarche.

Grâce aux outils numériques, les collectivités ont également pu faciliter les relations entre citoyens. Beaucoup de collectivités se sont saisies de ces outils pour organiser les liens de solidarité avec les personnes âgées ou isolées par exemple. La crise a donc ouvert les collectivités sur de nouvelles possibilités et de nouveaux horizons offerts par le digital et leur a fait redécouvrir la vingtaine de solutions « civic tech » qui existent aujourd’hui et qui sont autant d’outils permettant d’interroger de nouveaux citoyens.

François Moulère :  L’un des premiers enseignements de la crise à l’échelle d’observation qui a été la mienne a été le besoin de vitesse, de réactivité, de prise de décision et d’application dans des temps extrêmement courts. Bien sûr, il a fallu agir en grande partie à distance. A ce titre, la crise sanitaire a entrainé une utilisation renforcée des outils numériques visant à faciliter soit la communication descendante des collectivités, soit la discussion entre les parties prenantes impliquées dans un projet ou sur un territoire.

La crise a toutefois pu être le révélateur s’il en était besoin de la difficulté que les collectivités (et l’ensemble de la sphère publique) rencontrent à se « connecter » ou se « reconnecter » à un certain nombre de citoyens doutant, par exemple de l’efficacité des vaccins ou de la capacité des élus à faire face à la situation actuelle. Le recours aux civic tech constitue alors un enjeu fort. Il peut, à d’importantes conditions, permettre de renouer le dialogue avec ces personnes.

A court terme, la crise a par ailleurs bien sûr été révélatrice des difficultés mais aussi des réussites que rencontrent l’État et les collectivités pour travailler ensemble. Nous avons parfois pu constater une tension dans le fonctionnement entre, d’un côté, une administration centrale et déconcentrée de l’État et, de l’autre, une organisation territoriale décentralisée. L’enjeu étant, dans les circonstances que nous avons vécues, de pouvoir prendre rapidement des décisions et de les faire appliquer mécaniquement partout sur le territoire. Mais nous avons aussi vu des articulations Maire-préfet fonctionner en toute fluidité et produire des résultats remarquables.

La crise sanitaire rebat les cartes des politiques publiques, notamment en matière de gouvernance et de représentativité. Quelles tendances observez-vous ?

Erwan Keryer : La crise sanitaire a tout d’abord influencé la manière dont les collectivités ont organisé le débat avec les citoyens. Nous l’avons notamment vu avec les comités de quartier numériques qui, contrairement à leur version en présentiel, pouvaient être davantage structurés. En effet, quand vous êtes sur une plateforme de visioconférence, les débats sont plus courts et plus cadrés. Les collectivités ont ainsi appris à utiliser un certain nombre d’outils numériques pour réorganiser le débat public et le rendre plus efficace.

Par ailleurs, dans le cadre des budgets participatifs que de très multiples municipalités organisent depuis longtemps déjà, nombre de citoyens – qui n’y avaient jamais participé auparavant – ont pu proposer leurs projets d’aménagement, et voter. À Grenoble, par exemple, le vote des citoyens a pu se faire à distance, ce qui a permis de toucher d’autres publics que ceux habitués à ce type de démarche.

Grâce aux outils numériques, les collectivités ont également pu faciliter les relations entre citoyens. Beaucoup de collectivités se sont saisies de ces outils pour organiser les liens de solidarité avec les personnes âgées ou isolées par exemple. La crise a donc ouvert les collectivités sur de nouvelles possibilités et de nouveaux horizons offerts par le digital et leur a fait redécouvrir la vingtaine de solutions « civic tech » qui existent aujourd’hui et qui sont autant d’outils permettant d’interroger de nouveaux citoyens.

François Moulère :  L’un des premiers enseignements de la crise à l’échelle d’observation qui a été la mienne a été le besoin de vitesse, de réactivité, de prise de décision et d’application dans des temps extrêmement courts. Bien sûr, il a fallu agir en grande partie à distance. A ce titre, la crise sanitaire a entrainé une utilisation renforcée des outils numériques visant à faciliter soit la communication descendante des collectivités, soit la discussion entre les parties prenantes impliquées dans un projet ou sur un territoire.

La crise a toutefois pu être le révélateur s’il en était besoin de la difficulté que les collectivités (et l’ensemble de la sphère publique) rencontrent à se « connecter » ou se « reconnecter » à un certain nombre de citoyens doutant, par exemple de l’efficacité des vaccins ou de la capacité des élus à faire face à la situation actuelle. Le recours aux civic tech constitue alors un enjeu fort. Il peut, à d’importantes conditions, permettre de renouer le dialogue avec ces personnes.

A court terme, la crise a par ailleurs bien sûr été révélatrice des difficultés mais aussi des réussites que rencontrent l’État et les collectivités pour travailler ensemble. Nous avons parfois pu constater une tension dans le fonctionnement entre, d’un côté, une administration centrale et déconcentrée de l’État et, de l’autre, une organisation territoriale décentralisée. L’enjeu étant, dans les circonstances que nous avons vécues, de pouvoir prendre rapidement des décisions et de les faire appliquer mécaniquement partout sur le territoire. Mais nous avons aussi vu des articulations Maire-préfet fonctionner en toute fluidité et produire des résultats remarquables.

A plus long terme, la crise a mis en exergue la question de savoir comment les décisions vont être prises, demain, notamment par les élus locaux. Ces derniers sont en effet aux prises avec l’État mais aussi avec des parties prenantes s’exprimant de plus en plus fortement et dont la capacité d’influence va croissant. La crise va très certainement amener une réflexion globale sur une nouvelle forme de décentralisation et de régulation inter-institutions.


François Moulère,
Associé KPMG, Secteur Public

Dans un contexte de montée en puissance des civic tech, quels sont les points de vigilance que les élus doivent avoir en tête ?

Erwan Keryer : L’enjeu majeur que les élus doivent intégrer est que, dans 5 ans, les algorithmes pourront prendre les décisions à leur place. Certes, la démocratie s’est renforcée du fait de la crise sanitaire et l’appropriation par les élus des outils numériques est une étape salutaire qu’il faut poursuivre. Mais la question qu’il faut se poser est de savoir quelle place donner à ces outils.

Les civic tech servent tout d’abord à la concertation des citoyens. Or, nous savons, notamment en France, que quand on organise une concertation, le scénario qui se rapproche le plus d’un compromis l’emporte, ce qui n’est pas le plus optimal. Ces outils permettent par ailleurs de capter de la donnée, grâce à des réponses à des sondages, des votes ou des projets. Plus on collecte de données, plus on est en mesure de savoir en amont ce que le citoyen sait, plus on peut anticiper son comportement, et moins la décision est fondée sur de la rationalité politique. 

Les décisions politiques vont progressivement se transformer en décisions informatiques, algorithmiques. Le risque est d’être déconnecté du caractère représentatif d’une décision prise par des élus, ce qui vient réinterroger le sens même du mot démocratie.


Erwan Keryer,
Associé KPMG, Secteur Public

François Moulère : De très nombreux élus sont, aujourd’hui, en train de réfléchir de manière très concrète et extrêmement rapide, avec des niveaux d’outillage variés, à la manière d’introduire plus de transparence et de participation dans les processus délibératifs. Ces derniers sont en effet de plus en plus compliqués et nous avons absolument besoin de personnes, comme Loïc Blondiaux , qui œuvrent à penser et outiller la décision collective afin qu’elle soit prise d’une manière plus éclairée, dans un contexte où les réseaux sociaux contribuent à la complexification croissante du débat.

Comme toujours avec les outils, il y a le versant positif et le versant compliqué. Le versant compliqué, aujourd’hui, fait que nous sommes confrontés à un risque d’accélération de la défiance par l’outil lui-même. La question de la formation, de la didactique et de l’accompagnement des élus est donc fondamentale.

À retenir
Les civic tech servent à la concertation des citoyens. Ces outils permettent par ailleurs de capter de la donnée, grâce à des réponses à des sondages, des votes ou des projets. Plus on collecte de données, plus on est en mesure de savoir en amont ce que le citoyen sait, plus on peut anticiper son comportement, et moins la décision est fondée sur de la rationalité politique.

Quelles sont les modalités de déploiement des civic tech pouvant garantir leur succès ?

Erwan Keryer : Les civic tech sont de plus en plus nombreuses. La plupart d’entre elles fonctionnent sous forme d’abonnement, ce qui est une vraie limite à mon sens. Je ne crois d’ailleurs pas au modèle économique des civic tech à moyen terme car le propre du digital, c’est l’ouverture. À partir du moment où l’on évoque la question démocratique et la vie d’un espace public quel qu’il soit, le modèle économique est rapidement écarté au profit du logiciel« libre » et des licences ouvertes.

Face au renforcement de la concertation citoyenne via des outils digitaux, il est par ailleurs important de compenser cette digitalisation par une présence physique. Le concept de « phygital » va donc se développer afin de mobiliser le plus grand nombre de publics.

À ce propos, une grande partie du public exclu numériquement de l’espace public n’est pas, comme on pourrait le penser, le public âgé ou celui souffrant d’illettrisme ou d’illectronisme. Le public qui ne sait pas engager de démarche administrative ou citoyenne avec son téléphone, bien qu’il soit suréquipé et ultra-connecté, c’est le public jeune. C’est paradoxal mais plus les civic tech vont se développer et plus ce public risque d’être exclu des démarches de concertation citoyenne.

François Moulère : Avec des outils tels que les civic tech, il faut être attentif à bien faire la différence entre communication, concertation et co-construction. Le risque est en effet élevé de reproduire à grande échelle les problèmes actuellement constatés sur le terrain. En effet, trop souvent, certaines concertations ne sont que des simulacres masquant des décisions déjà prises, ce qui revient à faire du marketing de la décision en faisant semblant d’écouter les gens.

Pour une fois, ces outils pourraient être un des vecteurs fondamentaux de la transformation du processus délibératif. Nous pourrions profiter de ces outils pour, d’une part, mixer physique et digital et, d’autre part, introduire une logique de participation renouvelée avec une capacité d’empowerment des parties prenantes plus importante que celle que nous avons pu constater par le passé.

Le design de service est une discipline qui se développe de plus en plus au sein des collectivités. Quels en sont les bénéfices ?

Erwan Keryer : Le design de services existe dans le privé depuis 10 ou 15 ans. Il intègre désormais le fonctionnement des collectivités. Il permet de créer un nouveau service ou de faire évoluer des services existants en demandant aux utilisateurs de penser le service dont ils seron tusagers. Cette approche n’est pas digitale mais elle comporte une logique de concertation et de co-construction dont l’impact est fort car la déclinaison politique qui en découle est issue des travaux ayant eu lieu au sein des groupes et des ateliers de design de services.

François Moulère : La démocratie consiste, par principe, à rendre compte. Pour ce faire, l’évaluation de l’action publique est fondamentale. Mais il faut que cette évaluation « parle » au citoyen. On peut par exemple aujourd’hui mobiliser La notion de « design », qui consiste entre autres à « se mettre à la place de ». Cela implique d’obtenir la représentation la plus fidèle possible de la réalité d’usage par les bénéficiaires de services publics. Cette logique d’expertise d’usage est clé dans la capacité qu’ont les élus à comprendre et analyser la qualité des décisions qu’ils prennent. L’évolution démocratique que nous voyons se dessiner et que nous tentons d’impulser est de lier des processus issus de démarches de concertation, de design et d’évaluation. Le tout au service d’une décision plus éclairée des élus.

À retenir
Avec des outils tels que les civic tech, il faut être attentif à bien faire la différence entre communication, concertation et co-construction. Le risque est en effet élevé de reproduire à grande échelle les problèmes actuellement constatés sur le terrain.

Ces outils pourraient être un des vecteurs fondamentaux de la transformation du processus délibératif avec d’une part, mixer physique et digital et, d’autre part, introduire une logique de participation renouvelée avec une capacité d’empowerment des parties prenantes.

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