• Marie-Claire Renault Descubes , Directeur |
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Le secteur de l’agriculture et de l’alimentation fait plus que jamais partie des priorités stratégiques pour répondre aux enjeux existants : nourrir de manière saine, durable, traçable et compétitive une population mondiale en forte croissance et désireuse de répondre à de nouvelles attentes. Une chose est sûre : les mentalités changent et nos assiettes aussi !

Avec notre série « Futur de l’alimentation : découvrez l’assiette de demain », plongez dans les enjeux et les tendances du marché de l’alimentation 

Quelles sont les attentes clés des consommateurs, et en quoi impactent-elles les stratégies des professionnels de l’agroalimentaire ? Quels sont les enjeux liés à la hausse des prix des matières premières alimentaires ? Comment l’innovation peut-elle aider à développer de nouveaux débouchés commerciaux ? Comment faire rimer alimentation et santé ? Quelles compétences développer et quels talents attirer pour saisir les opportunités de l’agriculture et de l’alimentation ?

Découvrez notre série de cinq articles publiés toute les 2 semaines pour aborder ces tendances passionnantes ! Cette semaine, découvrons ensemble les enjeux posés par la hausse des prix des matières premières alimentaires.


Cette semaine, découvrons ensemble les tendances en matière de nutrition personnalisée, également appelée nutrition individualisée ou nutrition de précision.

Imaginons quelques instants un consommateur venant de compléter des analyses génétiques afin de connaître le régime alimentaire le plus adapté à son organisme, avant d’enregistrer ses préférences éthiques et environnementales comme critères d’achats alimentaires. C’est la nutrition personnalisée.

Poussons l’exercice en imaginant un consommateur doté d’une puce électronique qui fournirait des données en temps réel telles que les besoins de son organisme, son statut immunitaire, ou encore son activité physique. L’ensemble de ces données seraient communiquées à des appareils domestiques dotés d’intelligence artificielle qui fabriqueraient ce dont le corps a besoin sous forme de pilule, d’aliment solide ou de boisson. Les solutions seraient adaptées aux goûts, aux besoins nutritionnels et aux convictions de chacun. Bienvenue dans le futur.

Le constat est clair et nullement nouveau : il existe un lien très fort entre la santé et l’alimentation, comme en témoignent par exemple la maladie cœliaque, le diabète, l’obésité, la maladie de Crohn ou encore les allergies alimentaires. Dès lors, un mix de connaissances entre la biochimie, la nutrition et l’intelligence artificielle va permettre de développer la nutrition personnalisée en analysant comment chaque métabolisme réagit aux aliments ingérés dans le but de manger ce qui est bon pour sa propre santé. C’est même le fondement de la nutrition personnalisée : il n’existe pas de régime alimentaire unique qui puisse convenir à tous les êtres humains.

Nul besoin d’attendre le futur. Des trios de chercheurs-nutritionnistes-professionnels de santé se basent déjà sur diverses données personnelles (analyses de salive, sang, urine, ADN et microbiote intestinal couplées à des questionnaires personnalisés), les analysent via des algorithmes, puis déterminent le régime alimentaire le plus adapté à l’individu étudié. La nutrition personnalisée s’appuie en particulier sur les analyses du microbiote intestinal qui continue de dévoiler ses secrets aux scientifiques. D’après l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) [1], les 100 000 milliards de micro-organismes (bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes) hébergés dans notre système de digestion et les incidences qu’ils ont sur l’organisme sont de mieux en mieux compris grâce aux récents progrès scientifiques. L’analyse du microbiote intestinal peut servir plusieurs objectifs, comme par exemple améliorer le bien-être général grâce à une alimentation ciblée, comprendre et mieux soigner des maladies, ou encore améliorer les performances des athlètes sportifs. Les chercheurs savent désormais que le microbiote intestinal joue un rôle dans les fonctions digestives, métaboliques, immunitaires et même neurologiques. La communauté scientifique a découvert des connections entre le microbiote intestinal et certaines maladies, comme la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson ou encore la dépression nerveuse. Une alimentation ciblée et personnalisée est donc toute choisie pour tenter d’agir sur notre bien-être, et constitue l’une des applications industrielles des travaux liés au microbiote intestinal.

Selon plusieurs sources, le marché de la nutrition personnalisée serait estimé entre US$2 milliards et US$3,5 milliards. Les experts d’une étude réalisée récemment estiment que ce marché pourrait même représenter US$16,6 milliards d’ici 2030 [2]. La croissance de ce marché florissant serait liée à divers facteurs : l’évolution de la demande des consommateurs vers la nutrition santé et les services ultra-personnalisés ; la baisse du coût des nouvelles technologies ; une meilleure accessibilité à l’information ; et des preuves en plus grand nombre qu’il n’existe pas un régime alimentaire qui conviendrait à tous mais bien un besoin de nutrition adapté à chaque métabolisme.

Convaincues par les opportunités existantes, de nombreuses start-ups en France et à l’international se sont lancées dans le développement de solutions permettant d’adresser trois marchés principaux [3]. Tout d’abord, les compléments alimentaires personnalisés telles que les vitamines ou les probiotiques (comme la start-up française Cuure, ou encore la société américaine Care/Of). Ensuite, le coaching nutritionnel individualisé (depuis les recommandations jusqu’à la livraison de produits alimentaires), qui promet une amélioration du bien-être et de la santé. Il est intéressant de noter que les business models sont à la fois B2C et B2B2C (via des mutuelles de santé). Dans ce domaine par exemple, on retrouve la start-up française Nahibu ; ou encore l’entreprise américaine DayTwo qui s’appuie sur la science du microbiote intestinal, l’intelligence artificielle et le soutien de partenaires de santé afin de proposer des recommandations à des personnes souffrant de troubles du métabolisme. Enfin, des solutions hardware et software dédiées à la nutrition personnalisée sont également développées par des entreprises technologiques. Elles permettent par exemple aux clients de réaliser des tests à domicile, fournissent des solutions d’analyse à des spécialistes du diagnostic, ou encore développent des outils de gestion et stockage de données.

Cette tendance en plein boom intéresse de près les investisseurs en capital risque et en capital développement. Des startups comme Viome, Care/Of ou DayTwo ont déjà levé des tours de plusieurs dizaines de millions de dollars. [4] Le secteur attise également l’intérêt et l’ambition des grands groupes agro-alimentaires et pharmaceutiques. La Banque Publique d’Investissement indiquait récemment que des groupes comme Danone et Bel poursuivent actuellement des recherches sur le microbiote pour trouver des applications industrielles en lien avec leur marché. [5] Par ailleurs, dans une interview accordée à la fin de l’année 2021, le directeur général de Nestlé, Mark Schneider, s’est dit persuadé que la personnalisation allait s’étendre à l’alimentation. Avant d’ajouter : « Ne pas s'engager maintenant dans la nutrition personnalisée serait "une erreur inadmissible" » [6]. En 2019, le leader mondial de l’alimentation avait d’ailleurs annoncé l’acquisition de Persona, spécialisée dans la fabrication de vitamines personnalisées, pour renforcer sa branche Nestlé Health Science. [7]

La nutrition personnalisée est un domaine récent en pleine croissance qui rencontre encore quelques limites. Bien que les technologies existent, la recherche scientifique doit se poursuivre pour être un jour capable de déterminer un régime alimentaire personnalisé ayant des effets sur le long terme. De plus, les besoins nutritionnels changent constamment. Toutefois les solutions proposées à ce jour permettent d’obtenir des résultats valables à un temps précis, sans tenir compte de l’évolution du bien être et de la santé. Par ailleurs, cette innovation soulèvera également la question de la protection des données personnelles (voire sensibles) liées à la santé des individus. Enfin, le marché est principalement mené par les Etats-Unis pour le moment. Des investissements sont nécessaires pour continuer à accompagner les jeunes pousses françaises et européennes et les aider à émerger pour saisir les opportunités futures. A titre d’illustration, les start-ups françaises spécialisées en foodscience n’ont collecté que 10% des investissements de la foodtech en 2020 [8].

La recherche scientifique et les entreprises de la foodtech portent donc cette innovation de rupture. Soutenue par les investisseurs publics et privés, la nutrition personnalisée va révolutionner les habitudes alimentaires des consommateurs, les pratiques de l’industrie agroalimentaire et les rapports entre les acteurs de la santé, de l’alimentation et de la data d’ici les deux prochaines décennies.

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