• Marie-Claire Renault Descubes , Directeur |
7 min de lecture

Le secteur de l’agriculture et de l’alimentation fait plus que jamais partie des priorités stratégiques pour répondre aux enjeux existants : nourrir de manière saine, durable, traçable et compétitive une population mondiale en forte croissance et désireuse de répondre à de nouvelles attentes. Une chose est sûre : les mentalités changent et nos assiettes aussi ! 

Avec notre série « Futur de l’alimentation : découvrez l’assiette de demain ! », plongez dans les enjeux et les tendances du marché de l’alimentation !

Quelles sont les attentes clés des consommateurs, et en quoi impactent-elles les stratégies des professionnels de l’agroalimentaire ? Quels sont les enjeux liés à la hausse des prix des matières premières alimentaires ? Comment l’innovation peut-elle aider à développer de nouveaux débouchés commerciaux ? Comment faire rimer alimentation et santé ? Quelles compétences développer et quels talents attirer pour saisir les opportunités de l’agriculture et de l’alimentation ? 

Découvrez notre série de cinq articles publiés toute les 2 semaines pour aborder ces tendances passionnantes ! Cette semaine, place aux nouvelles attentes des consommateurs en France et en Europe.


Le consommateur d’aujourd’hui

Les nouveaux comportements complexifient la compréhension des actes d’achat des consommateurs. Les modes d’achats ne sont plus nécessairement basés sur des critères socio-économiques (revenu, âge, localisation, genre, etc) mais sur des valeurs et des aspirations en termes de choix de vie et de consommation. Et la crise sanitaire a encore accentué ces dernières évolutions.

En effet, les mois de crise sanitaire qui viennent de s’écouler ont mis en lumière la complexité à comprendre les attentes des consommateurs. Même les organisations ayant un lien direct avec eux et détenant un nombre important de données permettant d’analyser les comportements d’achat à travers des programmes de fidélité établis, ont eu des difficultés à répondre aux attentes constamment changeantes de leurs clients.

Pour autant, des tendances claires existent. Le bond du e-commerce alimentaire est bien net : depuis les premiers confinements de 2020, la vente en ligne alimentaire a explosé, passant de 5,8% de part de marché en 2019 à 9% en 2021 [1].

Le segment de la livraison alimentaire ultra rapide gagne du terrain en proposant aux consommateurs de répondre à leur besoin d’immédiateté. De nouveaux entrants comme Cajoo, Dija, ou encore Kol semblent avoir trouvé la recette du succès. La start-up Gorillas s’engage par exemple à livrer les clients en moins de 10min les clients dans un rayon de 2km parmi les 2000 références que compte le site.

Les régimes alimentaires vegan et flexitarien (prônant une consommation mesurée – voire limitée – de viande et poisson) gagnent du terrain. Selon une étude IFOP réalisée dans le cadre de l’Observatoire des cuisines populaires et relayée par la BPI, 40% de la population française déclarent vouloir réduire leur consommation de viande et poisson au profit de produits végétaux [2]. Dans le même temps, les restaurateurs ont augmenté les offres de plats vegan de 44% en 2020 par rapport à 2019 [3], ce qui traduit une végétalisation de l’offre d’alimentation RHF. En 2021, ce sont 500 000 personnes dans le monde qui ont participé à l’opération Veganuary (janvier sans viande), soit deux fois plus qu’en 2019. [4]

Le consommateur de demain

Dans les prochaines décennies, il est probable qu’un changement s’opère vers des fondamentaux non-négociables liés au caractère éthique et durable, ainsi qu’à la traçabilité des produits qui constitueraient un socle commun applicable à l’ensemble des clients finaux. Ces besoins se verront segmentés en tenant compte de critères additionnels pour les consommateurs : nourriture saine, qualité élevée et maintenue, avec des degrés variés de personnalisation et de vitesse de livraison, tout en maintenant un prix acceptable.

Transparence alimentaire

Si la traçabilité des produits alimentaires est une tendance déjà existante, elle n’aura de cesse de s’accentuer dans les prochaines années, afin de contribuer à renforcer la transparence pour les consommateurs. Il s’agit d’une évolution bien comprise des groupes qui développent des solutions en interne (comme Danone par exemple) ou des entreprises innovantes qui proposent leurs services aux industriels et distributeurs de diverses filières (comme Connecting food qui utilise la technologie blockchain). Une aubaine pour également promouvoir l’origine « France » et informer les consommateurs sur les produits en circuits courts.

En quête d’expérience et d’achat ultra-personnalisé

Par ailleurs, les consommateurs sont susceptibles d’envisager leurs achats comme un véritable parcours d’expérience créant de la valeur avant, pendant et après l’acte d’achat, et permettant de créer un lien d’attachement avec une marque. Citons des start-ups du foodservice qui répondent à la fois à la demande d’expérience et au besoin de praticité : Pazzi qui propose une approche différente de la restauration rapide avec des pizzas fabriquées par un automate « pizzaïobot » ; Bolk, présentée comme la première cantine robotisée ; ou encore FoodChéri Business qui a déployé des solutions de frigo connecté pour les salariés d’entreprise

Les technologies aideront les consommateurs à prendre une décision d’achat en leur offrant la meilleure expérience possible. En superposant la puissance des données, la force de l’analytique et les technologies d’automatisation et d’intelligence artificielle à travers la chaîne de valeur, nous obtenons une vision bien différente de nos modes de consommation d’aujourd’hui.

Il est par ailleurs attendu que les applications et autres outils utilisés par les consommateurs influencent nettement leurs décisions pour entrer dans une ère d’ultra-personnalisation. Cette tendance inclura les diagnostics santé qui feront le lien entre les besoins nutritifs, les valeurs éthiques, et les informations permettant d’être attentifs aux ingrédients perçus comme bons pour leur santé. L’ère de la nutrition personnalisée marque ainsi une tendance majeure de l’alimentation de demain. Sujet que nous aurons l’occasion de développer dans un article de notre série.

Accélération de l’éveil des consciences

Les producteurs et les consommateurs se rapprochent, notamment via les réseaux sociaux et l’utilisation de QR codes permettant aux clients d’en savoir plus sur l’histoire du produit. Ce phénomène, associé à une prise de conscience de l’iniquité du partage de la valeur entre les acteurs de l’amont à l’aval, mène à une volonté croissante des consommateurs de payer un prix juste aux producteurs. Notons que pour 100 euros dépensés en produits alimentaires, un agriculteur reçoit aujourd’hui environ 10 % de la valeur ajoutée [5]. Pour pallier ce problème, la marque des consommateurs « C’est Qui Le Patron ? » entreprend depuis 2016 de soutenir les producteurs en les rémunérant à un prix juste.

Le gaspillage alimentaire continue également d’éveiller les consciences partout dans le monde. En 2019, on comptait 931 millions de tonnes de denrées alimentaires jetées à la poubelle, dont 61% au niveau des ménages [6]. Si de nombreux efforts demeurent nécessaires via l’activation de différents instruments (réglementaires, infrastructure, éducation etc), il est certain que la volonté des consommateurs de lutter contre le gaspillage alimentaire sera également un outil puissant. Par exemple, l’application TooGoodToGo qui permet d’acheter des paniers d’invendus chez les commerçants, compte aujourd’hui 10 millions d’utilisateurs en France.

Enfin, les consommateurs témoignent d’une préoccupation grandissante pour le bien-être animal. En conséquence, on peut aisément anticiper que certaines pratiques de filières d’élevage liées aux conditions de vie des animaux (cages, surpopulation, castration, mutilation, stress, etc) seront remises en cause. Les conditions de transport et d’abattage seront elles aussi surveillées. La législation (comme la loi contre le broyage des poussins mâles à compter de 2022), les choix de consommation, et la pression d’associations en faveur du bien-être animal permettront d’accélérer les évolutions déjà enclenchées. De même, restons attentifs à l’apport de meilleures pratiques innovantes, comme par exemple l’abattage mobile réalisé sur le lieu d’élevage. Inspiré de pratiques suédoises, l’abattage mobile est actuellement proposé en France par l’organisation Le Bœuf éthique.

Ces nouvelles attentes et critères en évolution vont modeler les stratégies de l’ensemble des organisations de l’amont à l’aval dans l’industrie agro-alimentaire. Les exportateurs de produits bruts et transformés vont particulièrement scruter ces évolutions puisque l’Europe représente le premier partenaire commercial et client de la France. Quant aux investisseurs, ils ont apporté 600M€ en 2020 [7] (soit +50% vs 2019) aux entreprises françaises de l’agtech et de la foodtech, témoignant ainsi de l’intérêt grandissant pour l’innovation qui répond aux tendances du secteur.

Retrouvez notre série de 5 articles sur notre site

  

Sources

[1] FEVAD

[2] BPI, février 2021, « Marché vegan : 40% des français veulent consommer davantage de produits végétaux »

[3] TendanceHotellerie

[4] Veganuary

[5] Institut Montaigne, En campagne pour l’agriculture de demain, Octobre 2021

[6] Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE)

[7] Digital Food Lab