• Valentin Collet , Supervisor |
12 min de lecture

L’impression 3D dans l’univers de la santé n’en est plus à ces débuts : bio impressions, prothèses, implants, équipements, sont à des stades avancés de développement. Les avantages de cette technologie pour les patients (ultra personnalisation) et les professionnels de santé (production sur site, à la demande et à bas coût), en font un levier efficace pour répondre aux enjeux du secteur dans les années à venir.

Avec la COVID, l’impression 3D a d’ailleurs bénéficié d’une mise en avant toute particulière. En démontrant la vulnérabilité de notre système de soin et le manque de réactivité de certaines chaînes d’approvisionnement, elle a permis à l’impression 3D de se positionner comme une alternative crédible et innovante pour faire face aux tensions exercées sur l’ensemble du secteur.

L’impression 3D est donc en phase de devenir une réalité dans bien des hôpitaux du monde, mais il en est autrement pour l’impression 3D de médicaments. En effet, cette technologie permettant d’imprimer des comprimés à partir d’une matière première (poudre, filament ou encre) contenant principe actif et excipient, reste aujourd’hui encore peu développée mais attise les intérêts (notamment pour des besoins de personnalisation des traitements).

A ce jour, le Spritam reste le seul médicament dont la production en 3D a été autorisée par une agence de santé (par la FDA en 2017). Produit par le laboratoire Aprecia Pharmaceuticals, grâce à la technique de collage de poudre par jet d’encre, cette initiative a permis au laboratoire de breveter une technologie « ZipDose » et de la proposer ainsi en sous-traitance pour d’autres acteurs de l’industrie.

Malgré une empreinte encore faible sur le marché, ce champ d’application de la 3D, est très prometteur : les opportunités sont multiples et les bénéfices réels pour les patients et l’ensemble des professionnels de santé. 

Exemple d’impression 3D de médicaments avec FabRx
Source : FabRx

Exemple d’impression 3D de médicaments avec FabRx

La technologie et le champ de connaissance s’étendent rapidement

Si l’intérêt pour l’impression 3D de médicaments n’est pas nouveau, sa maturité et son application économique ont longtemps paru lointaines. Positionnée en haut de la courbe de Gartner (2018) avec un haut potentiel, son application à l’échelle trouve un horizon à 10 ans.

Cela s’explique facilement par la complexité et le niveau de maîtrise que requiert le développement d’une telle technologie avant d’imaginer son déploiement à l’échelle sur le marché. La maîtrise des technologies d’impression 3D (FDM, SLS, SLA, Jet d’encre), le développement de la matière première (principe actif et excipient sous forme de poudre, de filament, ou d’encre), la sécurisation d’une solution pouvant être approuvée par les agences de santé, implique un travail de longue haleine.

Et, si les prédictions de croissance, de ce marché encore peu mature (CAGR 2017-2025 : 4% à 9%), restent incertaines et bien en-dessous des standards du marché de l’impression 3D dans la santé (CAGR 2018-2026 : 18,2%), cette technologie n’en demeure pas moins séduisante. En témoigne, l’explosion en 10 ans du nombre de publications liées à l’impression 3D de médicaments, montrant l’intérêt des chercheurs, mais aussi des industriels et des institutions, pour cette technologie.

La course est lancée…

Des indicateurs de maturité qui soulignent le potentiel de l’impression 3D de médicaments
 

Des indicateurs de maturité qui soulignent le potentiel de l’impression 3D de médicaments

Un écosystème 3D en mouvement

Si Aprecia, avec le Spritam, a posé la première pierre en 2017 (autorisation de mise sur le marché par la FDA d’une technologie de production 3D à grande échelle), l’ensemble des possibles et bénéfices liés à cette technologie (personnalisation des traitements, mise à la dose, etc.) restent encore à explorer. Ainsi, des mouvements apparaissent et l’écosystème s’active pour se structurer autour d’une grande variété d’acteurs voyant dans cette technologie et ce marché une opportunité pour de nouveaux relais de croissance. Centres de recherche, start-ups, entreprises de la tech’, CDMO, industriels, etc. chacun d’entre eux, par son expertise et son savoir-faire, est en mesure de se positionner sur cette technologie émergente pour rendre accessible de nouveaux services et traitements innovants. 

Mapping des acteurs et portes d’entrées sur le marché du médicament 3D

Mapping des acteurs et portes d’entrées sur le marché du médicament 3D

Parmi eux, quelques startups comme FabRx développent des solutions dédiées, presque clé en main, et se positionnent comme les futures partenaires technologiques d’un nouveau système de soin innovant. En parallèle, certains grands acteurs de l’industrie pharmaceutique lancent leurs initiatives (Merck, Sanofi et d’autres). Mais celles-ci restent pour le moment très confidentielles et le niveau d’avancement des réflexions au sein de ces groupes n’est pas clairement communiqué. A ce stade, les réflexions et initiatives portent principalement sur la transformation de l’organe de production R&D et industriel avec un déport potentiel de la fabrication finale chez les professionnels de santé, pour une fabrication magistrale ou hospitalière d’un nouveau genre. La « 3D à la maison » reste un vœu pieu. 

De multiples cas d’usage

En effet, au-delà des opportunités que cette technologie démontre en termes de moyens de production, l’impression 3D apporte des bénéfices clés en termes de personnalisation des traitements et d’accès au marché. Par ces applications, l’impression 3D vient naturellement apporter des réponses à deux grands enjeux pour l’industrie pharmaceutique. Le premier est la recherche continue d’une meilleure observance et efficacité des traitements, via des thérapies plus ciblées et personnalisées démontrant une valeur ajoutée pour les patients et le système de soin. Le deuxième s’inscrit dans une dynamique globale de pouvoir faire bénéficier à chaque patient, où qu’il soit et quel que soit sa pathologie, des meilleurs traitements et innovations du secteur. Aussi, ces différents cas d’usage, nous appellent à repenser la façon dont les traitements sont administrés mais aussi la façon dont ils sont développés, produits et rendus accessibles aux patients. 

Des cas d’usages entre personnalisation et accès au marché

Des cas d’usages entre personnalisation et accès au marché

5 principaux cas d’usage qui trouvent leurs applications sur plusieurs aires thérapeutiques :

- Multitraitements : en combinant plusieurs substances actives dans un seul et même comprimé. Cet usage prend tout particulièrement son sens en polypharmacie lorsqu’un patient doit suivre un traitement avec de nombreux médicaments à prendre quotidiennement (maladies chroniques, gériatrie). La prise d’un seul comprimé agrégeant plusieurs principes actifs, améliorerait l’observance et ainsi la qualité du traitement.

- Dosage : en adaptant au patient la dose de substance active dans le médicament en fonction de sa pathologie. Un grand nombre de traitements aujourd’hui demandent aux patients ou aux médecins d’adapter la posologie (soit directement à l’hôpital, en pharmacie, ou à domicile). Pour les médicaments présentant un index thérapeutique étroit, demandant une grande variété de posologies et une précision fine dans les dosages prescrits, une mise à la dose personnalisée au patient permettrait d’augmenter la sécurité et l’efficacité du traitement. Par ailleurs, le processus 3D vient sécuriser le processus de fabrication qui parfois présente des risques de manipulation lors de préparations magistrales ou hospitalières (notamment sur des médicaments sous forme de suspension où la dose diluée pourrait ainsi être précisément maitrisée).

- Ingestion : en développant de nouvelles formes de comprimés afin de faciliter leur ingestion et adapter les modèles de libération. Pour certains types de patients, notamment chez les jeunes enfants (pédiatrie), modifier la forme, la couleur du médicament peut permettre d’améliorer significativement l’observance à un traitement par un processus de gamification. D’autre part, les changements de formes peuvent venir influencer la rapidité de libération de certains traitements une fois le comprimé injecté, et ainsi permettre de s’adapter aux besoins spécifiques de chaque patient.

- Géographie : en s’appuyant sur la grande mobilité des unités de production 3D pour rendre accessible certain traitements à des populations reculées ou sur des zones de crises. On utilise déjà aujourd’hui l’impression 3D lors de catastrophes naturelles afin d’imprimer en fonction de la demande tel ou tel dispositif médical (exemple de Field Ready qui a déployé au Népal en 2016, suite au tremblement de terre, des imprimantes 3D à destination des régions les plus touchées et difficiles d’accès) ; y imprimer aussi des médicaments pourrait permettre de gérer de façon plus agile les stocks et les besoins locaux. Par ailleurs la taille réduite d’une imprimante 3D ouvre la voie à des usages en mobilité (ces unités sont par exemple aisément transportables dans un van).

- Nouveaux traitement de niche : en produisant à la demande (et à la dose, en adaptant le profil de biodisponibilité) des traitements de niche ayant une très faible demande ou une multiplicité de posologies trop importantes pour être viable économiquement. Cela pourrait permettre de rendre accessible sur le marché certains traitements parfois bloqués aux phases d’études cliniques du fait de la complexité d’industrialisation.

L’apport de la 3D est visible sur toute la chaîne de valeur

Le développement de cette technologie et l’adaptation à ces nouveaux cas d’usage, viennent impacter l’ensemble de la chaîne de valeur. De la R&D jusqu’à la vente et l’administration des traitements, l’impression 3D apporte à la fois de nouvelles perspectives et de nouveaux process et usages. 

En R&D, tout particulièrement sur les phases d’essais cliniques 1 et 2a (escalade de la dose et preuve de concept), l’impression 3D permettrait d’être plus agile, plus précis, et plus économique. Ainsi, les délais de mises en œuvre pourraient être fortement réduits par une plus grande agilité dans les opérations et la production des doses testées. En favorisant une production à la demande (en fonction des besoins du centre et des patients), l’impression 3D pourrait permettre une réduction des pertes souvent enregistrées lors de ces phases. Enfin, c’est la durée des phases cliniques qui pourrait être réduite, permettant d’accélérer la mise sur le marché de traitements innovants et donc la génération de revenus. 

L’industrialisation et la mise sur le marché du médicament, seraient elles aussi impactées par l’émergence de nouveaux modèles de production plus proches du patient. L’intérêt de l’impression 3D de médicaments réside essentiellement dans la production de comprimés personnalisés. La production des comprimés ne pourrait donc intervenir que dans le parcours de soin (à l’hôpital, dans les pharmacies, ou chez le patient lui-même) et non plus en amont et de façon industrielle comme c’est le cas aujourd’hui. 

Aussi, la mise sur le marché de matières premières (filament, poudre, encre contenant excipient et principe actif), prêtes à être imprimées à la dose, demanderait de repenser et de réinventer les modèles de prix et de responsabilité quant à la délivrance des traitements et leur production.

Il s’agit ainsi de repenser plus globalement le rôle des différents acteurs sur cette chaîne de valeur. Les industriels, bien que continuant à développer les traitements, ne seraient que les premiers maillons d’une chaîne de production avec un rôle de fournisseur de matières premières adaptables à la technologie 3D. La prescription resterait à la charge du médecin mais avec une plus grande marge de manœuvre pour adapter le traitement à son patient. La production en elle-même de ces médicaments en comprimés reviendrait à des acteurs déjà existants ou de nouveaux intermédiaires produisant et livrant les traitements à la demande. 

C’est en repensant et en agissant de bout en bout sur cette chaîne de valeur, que l’ensemble des bénéfices de cette technologie pourront être captés. Et si les phases amonts (R&D) peuvent bénéficier de cette technologie, les impacts les plus significatifs se trouvent en bout de chaîne avec le patient et leurs partenaires professionnels de santé. 

La R&D se positionne donc comme un levier d’opportunités facilement activable à court terme pour lancer la 3D. Le déploiement de cette technologie sur le marché, bien que présentant le plus grand potentiel de croissance, prendra plus de temps au vu des changements en profondeur qu’il demande. 
 

Impact de l’impression 3D de médicaments sur la chaîne de valeur et les acteurs

Impact de l’impression 3D de médicaments sur la chaîne de valeur : recherche et développement - industrialisation - accès marché et marketing - vente
Impact de l’impression 3D de médicaments sur les acteurs : patients - docteurs - pharmaciens - laboratoires pharma - autorités de santé - payeurs

Les limites et challenges

Le développement de l’impression 3D et sa mise à disposition sur le marché pour les patients repose donc sur un certain nombre de challenges à adresser.

- Réglementaire : les agences de santé connaissent encore mal la technologie et le processus d’approbation présente encore de nombreuses zones d’ombre (notamment dans la tenue des phases cliniques ou du contrôle et de la libération des lots). Aujourd’hui, seule la FDA a été en mesure d’approuver la commercialisation d’un médicament imprimé en 3D (dans le cadre d’une production industrielle standardisée qui ne venait pas modifier le cadre réglementaire).

- Economique : l’équation économique reste aujourd’hui complexe au vu de la demande et des volumes à produire. Cependant les évolutions technologiques (têtes et technologies d’impression multiples et combinées, contrôle automatique et libération en ligne par l’imprimante 3D, digitalisation du dossier de fabrication et traçabilité de la fabrication…) qui arrivent vont rapidement permettre d’équilibrer les coûts pour une valeur avérée plus grande. Il s’agira aussi de démontrer les bénéfices pour le système de santé, étroitement liés à une meilleure qualité et observance des traitements, qui peuvent réduire la durée de prise en charge des patients. Ainsi le premium de prix unitaire pourrait être légitimé par une diminution du coût global des traitements et par des économies significatives sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

- Technologique : il n’existe pas encore de standard partagé par l’industrie pharmaceutique et les recherches menées actuellement de manière unilatérales (et donc propriétaires) risquent de favoriser une appropriation plus lente par les marchés.

- Organisationnel : la commercialisation de médicaments personnalisés (à la dose par exemple) implique la revue de son modèle de distribution et de la gestion de la chaîne d’approvisionnement. Aujourd’hui, seuls les hôpitaux et officines habilités à produire des préparations hospitalières sont en mesure de gérer une « relation patient » de cet ordre, demain le rôle de ces partenaires de santé sera primordial.

Dans son ensemble, cette nouvelle technologie viendra impacter les usages et le rôle de toute une filière médicale déjà en transformation. Son adoption et son acceptation, notamment par le corps médical et la patientèle, repose essentiellement sur une bonne compréhension des usages et une application encadrée et sécuritaire de la technologie.

Sur le volet économique, les freins sont encore nombreux, mais au rythme actuel du développement de ces technologies, les débouchés commerciaux et applications à l’échelle sont proches.

Si l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, dans le marché de la 3D et plus largement de la tech, la prime sera accordée aux premiers entrants et à ceux qui en maitriseront les usages !