• Albane Liger-Belair , Partner |
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Et si la France avait eu ses propres usines de masques ? La pandémie aurait-elle progressé moins vite ? Deux mois après le début du confinement général, ces questions restent lancinantes. Dans la foulée, le débat autour de la relocalisation de certaines activités s’est intensifié. L’éloge est fait des circuits courts : cela tombe bien, ils sont un facteur important d’une meilleure empreinte écologique, de même qu’un levier pour le plan de reprise post-Covid-19, et de nature à répondre à l’obsession des décideurs quant à la sécurité de leurs équipes.

Aujourd’hui, plus une semaine ne se passe sans qu’un grand groupe affiche son objectif de neutralité carbone à l’horizon de 2050. Idem pour les stratégies de protection des salariés XXL. Crise sanitaire plus menace sur l’environnement, les deux phénomènes pourraient se conjuguer au service d’une migration des activités économiques, destination le territoire domestique et/ou les régions limitrophes.

Le Made in France vers la dé-marginalisation ?

Atout commercial aux yeux de consommateurs, qui souhaitent favoriser la production locale, particulièrement en matière de produits alimentaires en cette période de crise sanitaire - grâce à la garantie de qualité et sécurité- le Made in France a une carte à jouer, à condition de contourner les obstacles et de renouveler l’offre. Un chantier d’innovation, mais pas seulement.

Enjeux d’échelle

Première concernée, l’industrie, et en priorité les filières qui ont élu domicile en Asie, comme les composants électroniques, les pièces textiles ou certains petits équipements industriels. Mais si forte soit la volonté de sécuriser les approvisionnements en rapprochant et en diversifiant les sites de production, elle ne suffit pas : seuls des volumes des commandes conséquents dans le temps peuvent justifier et rentabiliser les investissements nécessaires. De nombreux dirigeants en appellent ainsi aux pouvoirs publics et grands donneurs d’ordre, pour qu’ils pilotent des appels d’offres d’envergure, et aux partenaires financiers. Une question de volumes d’autant plus importante que la vigilance au signal prix, en l’occurrence la compression des coûts, est toujours d’actualité. Dans le solaire, les projecteurs sont braqués sur la fabrication des panneaux : pourquoi ne pas fabriquer en Europe ? Réponse immédiate : les produits sont environ 15 à 20% moins chers en Chine. Pour relocaliser, il faudra combler ce différentiel. En attendant un potentiel changement des règles fiscales, les professionnels en France réclament au gouvernement un programme massif de construction de nouveaux mégawatts (MW) solaires.

La coopération, un levier puissant

Un autre enseignement des projets de relocalisation en cours réside dans la nécessité d’une coopération. L’alliance entre les grands groupes et PME du tissu économique local est efficace quand il s’agit de relocaliser : les premiers peuvent s’appuyer sur les seconds, notamment pour mutualisation des compétences, et ainsi avancer plus vite. Par exemple, Michelin et un petit cercle de PME de la région Auvergne-Rhône-Alpes ont travaillé conjointement à vitesse accélérée pour concevoir un masque réutilisable et amorcer sa production. Un modèle territorial que les Régions encouragent pour la reprise également, comme le Grand-Est où se développe actuellement un ‘’pilote relocalisation’’, avec 5 entreprises volontaires.

Le covid-19 accélérateur de la nécessaire relocalisation de nos assets stratégiques ou Renforcer l’autonomie nationale dans les activités stratégiques

Par exemple, pour les secteurs de la santé et de la pharmacie, c’est l’impératif de souveraineté nationale, avec la sécurisation des approvisionnements, qui préside à la volonté de rapatrier des activités. Le géant pharmaceutique français SANOFI prévoit ainsi de regrouper dans une même entité ses sites de production de principes actifs en Europe, cette fois. Fini le tout-Asie-baisse des-prix des années 90. Si la réflexion de Sanofi est antérieure à l’irruption de la pandémie, la crise du Covid-19 l’a remise sur le devant de la scène. Tous secteurs confondus, les industriels ou fournisseurs de services qui travaillent sur des boucles courtes précisent que ce sont des scénarios mûris depuis longtemps, longs à déployer.

Les chemins de la création de valeur

Depuis le début de la crise, la filière agro-alimentaire a assuré l’approvisionnement des Français. Au prix, comme le souligne Stéphane Dahmani, directeur Économie de l’Association nationale des industries alimentaires, de surcoûts de production qui fragilisent maintenant l’investissement pour les transitions écologique et numérique, priorités du secteur. Avec 70% de matières premières d’origine française, la filière fait figure de bonne élève. Continuer à innover ? Un impératif pour développer encore sa résilience. Mais pour beaucoup, comme pour cette ETI du secteur Chocolat et confiserie, le défi est grand :

« Une nécessité de récréer de la valeur en stoppant une guerre des prix destructrice de valeur donc d'emplois et de capacité d'investissement. Ce alors que nous avons entièrement relocalisé notre production en France (6 sites industriels) et donner une inflexion forte à notre R&D vers des produits plus naturels, répondant aux attentes du consommateur (gamme Bio, arômes et colorants naturels) ».

Et si se rapprocher du client final était à la fois l’objectif et le facteur clé de succès d’une stratégie de relocalisation ?