• 1000

Un récent arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 septembre 2022* apporte deux précisions inédites dont l’importance pratique n’est pas négligeable.

RÉSUMÉ DU LITIGE

L’affaire était classique. Deux époux s’étaient mariés en 1970 et l’épouse avait ultérieurement effectué un apport en société au moyen de biens communs. Alors qu’elle occupait les fonctions de gérante, son époux a revendiqué, en 2007, la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites.

Il a, ainsi, fait usage de la faculté qui est offerte par la loi (C. civ., art. 1832-2, al. 3) à tout conjoint marié sous un régime communautaire, lorsqu’un apport ou une acquisition de parts sociales a été effectué au moyen de biens communs. Cette revendication, on le sait, est possible aussi longtemps qu’un divorce passé en force de chose jugée n’est pas intervenu (Cass. com., 18 nov. 1997, n° 95-16.377). Elle sera soumise à la procédure légale d’agrément dans les sociétés concernées (Cass. com., 18 nov. 2020, n° 18-21.797) et permettra au conjoint entrant de jouir personnellement des droits d’associés attachés aux parts revendiquées et notamment de percevoir les dividendes (Cass. civ. 1ère, 5 nov. 2014, n° 13-25.820).

C’est ce dernier point qui cristallisait les tensions dans l’affaire en question : tandis que l’époux estimait avoir droit d’obtenir communication de certains documents sociaux (bilans, comptes de résultats, rapports de gestion et PV d’AGO), son épouse, en sa qualité de gérante, lui refusait ce droit au motif qu’il n’était pas animé « d’une volonté réelle et sérieuse de collaborer avec [celle-ci], pour l’exercice d’une activité commune, dans l’intérêt de la société ». En d’autres termes, il était dépourvu d’affectio societatis (« intention d’être associé »), ce qui devait constituer un obstacle à sa revendication de la qualité d’associé et donc à l’exercice des droits qui y sont attachés.

LES APPORTS DE LA DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION

Le premier apport de l’arrêt est ici : l’argument est rejeté par la Cour de cassation qui affirme, de façon inédite, que « l’affectio societatis n’est pas une condition requise pour la revendication, par un époux, de la qualité d’associé sur le fondement de l’article 1832-2 du code civil ».

Même si elle est nouvelle, cette première affirmation n’en était pas moins prévisible : la Cour de cassation avait déjà, par le passé, refuser d’annuler une cession de titres sociaux pour défaut d’affectio societatis de la part de l’acquéreur (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-22.296). Signe que l’intention de s’associer n’est pas, dans l’esprit de la Cour de cassation, autre chose qu’une condition de validité du contrat de société.

Se posait également une seconde question dans cette affaire : peut-on bloquer le droit de revendication du conjoint en invoquant une renonciation tacite de sa part à ce droit ? L’épouse avait soutenu cette position et la Cour de cassation lui donne raison, second apport notable de l’arrêt. Appliquant à la cause le principe selon lequel « la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer », elle admet que le conjoint peut être considéré comme ayant tacitement renoncé à sa faculté de revendiquer la qualité d’associé.

Ce second apport est loin d’être négligeable, en particulier dans toutes les situations dans lesquelles le conjoint n’aura pas expressément renoncé, à l’heure de l’acquisition, à l’exercice de son droit de revendication.



AUTEURS

EXPERTISE CONCERNÉE