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Depuis une loi du 26 juillet 1968 (n° 68-678), dite « loi de blocage », la transmission d’informations sensibles à des autorités publiques étrangères est soumise à une interdiction de principe.

Toute personne de nationalité française ou résidant sur le territoire français et tout représentant ou préposé d’une personne morale ayant son siège ou un établissement en France y est soumise. Pour la mise en œuvre de cette interdiction, en particulier en raison de l’imprécision de la notion d’information sensible (information « dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public »), la loi prévoyait que les personnes concernées étaient tenues d’informer sans délai le ministre compétent, à peine de sanction pénale.

La création du « Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques » (SISSE)

A la suite de déboires de certaines grandes entreprises françaises à dimension internationale, un décret du 20 mars 2019 (n° 2019-206) avait quelque peu renforcé la mise en œuvre de la loi et créé le « Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques » (SISSE) auprès du directeur général des entreprises du Ministère de l’économie et des finances. L’objectif était de sensibiliser aussitôt que possible les Pouvoirs publics pour leur permettre le cas échéant d’intervenir au plus haut niveau afin d’appuyer l’entreprise française soumise à des exigences préjudiciables de communication d’autorités judiciaires ou administratives étrangères (on pense en particulier au Department of Justice US). Cette évolution était toutefois insuffisante, parce qu’il y avait plusieurs intervenants potentiels (chaque ministre compétent) et parce que des autorités étrangères, en particulier les juridictions américaines, considéraient que les entreprises françaises concernées ne faisaient pas suffisamment la preuve d’un risque pénal en France si elles communiquaient.

Les propositions de modernisation du rapport Gauvain

Aussi, la même année, dans son rapport au sein duquel il formulait un certain nombre de préconisations afin de rétablir la souveraineté de la France et de protéger les entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale, le député Raphaël Gauvain appelait de ses vœux une modernisation de la loi de blocage.

En effet, il apparaissait que celle-ci n’avait jamais été réellement mise en œuvre. L’objectif d’orienter les requêtes étrangères vers les voies normales de la coopération internationale (conformément en particulier aux dispositions de la Convention de La Haye de 1970 qui permettent à l’autorité judiciaire d’un Etat de demander, par commission rogatoire, à l’autorité d’un autre Etat de faire, entre autres, tout acte d’instruction) n’avait pas été atteint. Le député Gauvain recommandait donc l’adoption d’une série de mesures, parmi lesquelles figurait une aggravation de la sanction prévue en cas de violation de la loi.

Un encadrement salutaire de l’interdiction

Face à l’exacerbation de la compétition économique mondiale et des enjeux internationaux qui pourrait accroître le risque de demandes étrangères, le gouvernement a fini par répondre à certaines de ces recommandations par un décret du 18 février 2022 (n° 2022-207) et un arrêté du 7 mars 2022, entrés en vigueur le 1er avril, qui viennent mieux encadrer la mise en œuvre de cette interdiction.

Le choix du gouvernement

Toutefois, augmenter les sanctions eût été exposer les dirigeants et les entreprises à un véritable dilemme en cas de requête formulée par une autorité étrangère, tout particulièrement dans le cadre de la procédure américaine de discovery : ne pas répondre aux sollicitations étrangères et s’exposer aux sanctions extraterritoriales, ou communiquer des informations sensibles au risque d’être sanctionnés par la justice pénale française. C’est pourquoi le gouvernement a fait le choix d’offrir aux entreprises françaises une voie de salut en les autorisant à demander à l’administration son avis.

Un guichet unique

Ainsi, de manière générale, la personne concernée doit dorénavant immédiatement informer le SISSE et lui remettre un dossier dont la présentation (« format aisément exploitable ») et la transmission (« par des moyens de communication sécurisés physiques ou électroniques ») sont précisés par l’arrêté précité. Le SISSE, qui devient ainsi l’autorité unique, doit rendre dans le mois un avis sur l’applicabilité de la loi de 1968.

Dirigeants et entreprises pourront en conséquence soit communiquer sans risque si le SISSE ne s’y oppose pas, soit refuser de communiquer, en totalité ou partiellement selon le cas, en se retranchant derrière le refus du même service et opposer aux autorités étrangères requérantes l’avis de l’administration française, qui, peut-on l’espérer, aura plus de poids qu’auparavant.

Un guide Afep-Medef sur les données sensibles des entreprises

Cette réforme est complétée par un guide élaboré par l’Afep et le Medef, en collaboration avec le SISSE. Il a pour vocation d’accompagner les entreprises dans l’identification des données pouvant être considérées comme à la fois « sensibles entreprise » et « sensibles souverain », susceptibles d’être assujetties à l’interdiction de communiquer1. Avec l’aide de ce guide, les entreprises françaises sont invitées à faire l’inventaire de leur patrimoine informationnel et à le classifier, puis à le stocker d’une façon adaptée à son niveau de sensibilité.

Espérons qu’avec cette réforme et l’instauration de ce guichet unique qui leur offrent le bénéfice d’un seul et même interlocuteur en lien avec les différentes administrations concernées, les entreprises françaises sortiront de l’insécurité juridique dans laquelle elles se trouvaient jusqu’à présent.

Certes, on peut craindre que ce nouveau dispositif ne décourage pas « certaines » autorités étrangères de continuer à faire pression afin d’obtenir un maximum d’informations, mais les entreprises françaises ne seront plus seules pour leur répondre.



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