Dans l’interview, Rudolf Minsch, chef économiste et président suppléant de la direction d’economiesuisse, aborde la situation économique de la Suisse et s’intéresse à ce que l’avenir apportera en termes de nouveaux projets de lois ou d’initiatives.
Prof. Dr. Rudolf Minsch, Chef économiste et président suppléant de la direction d’economiesuisse
Nous vivons actuellement le plus gros effondrement économique depuis des décennies. Il faudrait remonter aux années 1970 pour trouver une situation comparable. Sous l’effet de la crise pétrolière, le produit intérieur brut de la Suisse avait alors reculé de 6,7%. En 2020, l’effondrement devrait se situer entre 5 et 6%. Il faudra également un certain temps avant que l’économie ne puisse se redresser. Nous nous attendons à ce que le taux de chômage augmente l’année prochaine et que la reprise, après les succès initiaux, survienne plutôt lentement. L’économie intérieure fait déjà en partie bonne figure, mais les difficultés en matière d’exportations sont loin d’être derrière nous. Dans ce domaine, il faut tabler sur une demande plus faible sur une durée prolongée.
Les mesures de soutien sans précédent de la Confédération ont évité que l’on assiste au plus grand effondrement économique connu depuis la Seconde Guerre mondiale. À court terme, il a ainsi été possible de stabiliser la consommation et d’éviter une réaction en chaîne négative dans la sphère économique. Il s’agissait indéniablement de la bonne attitude. Toutefois, cet endettement croissant sera à la charge des générations à venir. Par chance, l’endettement de l’État était faible avant la crise, et nous profitons également d’intérêts de la dette inhabituellement bas. Une hausse passagère des dettes publiques est donc supportable.
Pour limiter la gravité de la crise, il est essentiel qu’il n’y ait pas de deuxième vague assortie d’un nouveau confinement partiel. Néanmoins, même si celle-ci nous était épargnée, les interventions significatives de l’État ne seront pas sans incidences négatives. Nous assistons actuellement, à l’échelle mondiale, à une nationalisation partielle de l’économie. En Suisse également, l’empreinte de l’État s’est nettement renforcée. Une transformation durable de notre ordre économique en direction d’un protectionnisme, d’un isolement et d’un interventionnisme accrus porterait préjudice à tous. J’ai la ferme conviction que le retour à la situation d’avant le coronavirus ne sera possible que si notre économie et notre société en reviennent à leur responsabilité individuelle au lieu d’en appeler à des mesures de soutien en permanence. Le vieux proverbe «Aide-toi et le ciel t’aidera» décrit bien cette approche: au lieu de tabler sur encore plus d’aide de l’État, tout le monde doit maintenant se retrousser les manches.
La politique doit impérativement accepter la mutation structurelle qui s’accélère, même si celle-ci sera en partie douloureuse. L’État peut avoir une action subsidiaire, en augmentant par exemple les moyens destinés à l’éducation, la recherche et l’innovation, ou en les maintenant au même niveau en dépit de la crise. De façon générale, il s’agit à présent de préserver les bonnes conditions-cadres économiques et de les améliorer de façon ciblée. De la sorte, les entreprises pourront s’adapter aux nouvelles réalités et aussi créer bientôt de nouveaux emplois.
Il existe actuellement deux projets d’initiatives qui porteraient un coup fatal à l’économie. D’une part, l’initiative pour des entreprises responsables, qui souhaite imposer aux multinationales une responsabilité inédite à l’échelle mondiale et qui diminuerait nettement l’attractivité de la place économique suisse. D’autre part, nous serons appelés à voter dès la fin septembre sur l’initiative de résiliation, qui détruirait la base contractuelle de nos relations avec notre principal partenaire commercial, l’UE. Ces deux projets auraient déjà empoisonné notre prospérité en temps normal. Dans le cadre des dégâts économiques gigantesques liés à la crise du coronavirus, ils sont purement et simplement irresponsables.