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Le rapport déposé récemment par le Comité de suivi des Etats Généraux de la Justice présidé par Monsieur Jean-Marc Sauvé formule de nombreuses propositions de réforme de la Justice en général et de la justice économique et sociale en particulier. Le choix du président du Comité, Monsieur Jean-Marc Sauvé, fut à l’évidence opportun, car ce très haut magistrat administratif a su réformer la justice administrative lorsqu’il était Vice-président du Conseil d’Etat et, au-delà, avait réfléchi à la situation générale de la Justice et à sa modernisation. Ce rapport est doublement courageux, par ses constats et par ses propositions, et mérite qu’on s’y arrête. 

Sur la Justice en général : un rapport sans complaisance, des propositions ciblées

Du point de vue de la Justice en général, le rapport est sans complaisance et part de constats connus de tous : l’augmentation inexorable des procédures et la quasi-stagnation du nombre de magistrats et du personnel de justice, l’accroissement infini des délais de jugement, sans compter une forte augmentation du nombre d’appels et de réformations qui interroge la qualité des décisions de première instance (25 % d’appels et 46 % de réformation totale ou partielle). Cette situation désespère les justiciables, mais également les magistrats qui se sentent de plus en plus tenus de faire du chiffre et de moins en moins en situation de rendre justice. A cela s’ajoute la multiplication des textes, trop souvent mal rédigés qui plus est, et la complexité croissante du droit que le président du Comité résume de la manière suivante, qui mérite d’être citée : « Après la Révolution, le juge appliquait la loi. Puis il en est devenu l’interprète, afin de trancher les litiges, malgré les silences ou les obscurités de la loi. Désormais, avec la primauté du droit de l’Union Européenne et le contrôle de conventionnalité au regard du droit européen des droits de l’Homme, il est juge de la loi » (entretien au Monde du 10 juillet 2022). Mais le rapport va au-delà de ces constatations et, sur le terrain pénal par exemple, défend l’institution du juge d’instruction et s’oppose à une indépendance totale du parquet, car il estime que la politique pénale doit rester de la responsabilité politique du gouvernement, de même qu’à l’élargissement déjà excessif de ses pouvoirs d’enquête. Par ailleurs, il dénonce « une tentation de repli corporatiste » et « l’illusion de croire qu’elle [la justice] seule peut préserver son office et garantir son indépendance », et propose au contraire d’ouvrir la magistrature en matière de formation et de recrutement. Pour améliorer la qualité des jugements, il suggère de séparer le grade de la fonction pour permettre l’arrivée de magistrats expérimentés dans les tribunaux de première instance ; pour désengorger la justice civile, il propose de « barémiser » certains contentieux, comme ceux des loyers, des impayés, des délais de paiement et des pensions alimentaires ; pour apaiser les conflits, il propose de mettre en place une césure du procès : une fois la question de droit tranchée, le juge inviterait les parties à se mettre d’accord ; il suggère également d’instaurer la prise en charge systématique par la partie perdante des frais d’avocat de la partie gagnante en mettant fin à la conception purement indemnitaire de l’article 700 du Code de procédure civile.

Sur la Justice économique et sociale en particulier : une analyse réaliste de la situation

Du point de vue de la justice économique et sociale, les propositions du Comité vont également assez loin. Néanmoins, il n’adopte pas les critiques habituellement adressées aux juridictions commerciales et prudhomales et souligne au contraire la légitimité de ces juridictions composées sans échevinage, c’est-à-dire sans magistrat professionnel ; il reconnaît aussi qu’il serait impossible d’obtenir la création des postes nécessaires, le souvenir de 1984 n’étant sans doute pas si lointain qui avait vu le Garde des Sceaux de l’époque, Monsieur Badinter, renoncer à l’introduction d’un magistrat professionnel dans les tribunaux de commerce en parallèle à la réforme des procédures collectives (qui a, elle, abouti en 1985) pour des raisons budgétaires et avait déclaré lors d’un colloque, à une époque où le Ministère des Finances était encore au Louvre, à peu près ceci : « il existe une météorologie ministérielle qui fait que, partant de la Place de Concorde sous le soleil, on peut arriver Place du Palais Royal sous un ciel gris ».

Les propositions relatives à la Justice économique

S’agissant de la justice économique, le Comité propose de créer à titre expérimental un « tribunal des affaires économiques (TAE) », qui s’appliquerait à certains tribunaux de commerce et élargirait leur compétence à tous les acteurs économiques, qu’ils soient commerçants, artisans, agriculteurs, professionnels libéraux ou autres. Il admet que si cette expérimentation devait être ensuite généralisée, il faudrait modifier le collège électoral pour y intégrer des représentants des différents secteurs d’activité concernés ; là serait sans doute la difficulté majeure : quelles professions ? quelles proportions pour chacune ? S’il écarte par ailleurs l’idée de les écheviner, il envisage néanmoins d’instaurer une chambre mixte des sanctions des procédure collectives présidée par un magistrat professionnel ; curieuse proposition, qui va à l’encontre de son refus de principe de l’échevinage et dont l’intérêt est incertain, même si le rapport estime que cela devrait permettre « un rapprochement entre juges consulaires et magistrats professionnels et un enrichissement réciproque ». Il propose également de créer une filière de juges civilistes économiques ; l’expérience démontre que ce n’est pas une mauvaise idée. Autre proposition, que l’on peut qualifier d’iconoclaste au regard de tradition de gratuité de la Justice en France, la justice économique serait financée par un droit de timbre payé par les requérants en fonction de l’impact financier du litige et de leurs capacités contributives (proposition inspirée de l’expérience allemande).

Les propositions relatives à la Justice sociale

S’agissant de la justice sociale, les propositions du Comité sont principalement de caractère administratif et budgétaire. Il propose de rattacher les conseils de prudhomme au tribunaux judiciaires et de les faire dépendre du budget du Ministère de la justice. Il suggère de mettre en place un aiguillage : chaque affaire serait d’emblée et obligatoirement orientée soit vers la conciliation, soit vers une audience paritaire, soit vers une audience de départage.


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